Chroniques

par bertrand bolognesi

festival Elliott Carter, troisième journée

Aspects des musiques d'aujourd'hui / Conservatoire de Caen
- 20 mars 2005
Eliott Carter photographié par Samuel Loviton à Caen
© samuel loviton

Si le festival caennais doit beaucoup à Stéphane Béchy, l'édition de cette année est principalement redevable au pianiste David Lively, à l'origine de la programmation dédiée à Elliott Carter, et grâce auquel la présence du maître à ces journées normandes fut rendue possible. Nous l'entendions vendredi soir dans Dialogues pour piano et orchestre [lire notre chronique] ; il donne ce matin un récital, puis intervient dans le dernier concert du cycle cet après-midi et, comme si c'était encore peu, il signe chacun des textes de présentation des brochures de programme, textes parfaitement documentés qui introduisent intelligemment l'écoute.

Pour commencer (à 11h), David Lively joue brillamment les Variations d’Aaron Copland, débutées dans une sonorité ronde et discrète pour mieux éclater par la suite. Suit la Sonate que Carter écrivit en 1945, le premier mouvement pris dans une lecture focalisée sur le rythme, au point de faire l'impasse sur toute une part mélodique pourtant bien présente dans l’œuvre. Le complexe deuxième mouvement bénéficie d'une interprétation nettement plus judicieuse, et peu à peu s'éclaire la part possible des intentions du compositeur. Piano rag music de Stravinsky (1919) offre une respiration alerte avant le fort beau moment des Night fantasies de Carter dans lesquelles le jeu du pianiste s'avère fascinant, d'une grande précision, dispensant une couleur généreuse et complexe. Pour remercier un public chaleureux et rendre un hommage plus personnel encore au compositeur, le bis fait entendre la transcription pour piano solo que David Lively réalisa de l'Élegie écrite par Carter dans les années quarante pour violoncelle et piano, révisée ensuite pour quatuor, avant que d'opter pour une version définitive pour alto et piano. La fin de ce récital se charge d'une certaine émotion à l'écoute d'une pièce lyrique d'un style aujourd'hui oublié.

Cette dernière journée est des plus denses : à 14h30, Jean-Pierre Derrien convie le public au Grand Auditorium pour assister à l'enregistrement d'un atelier que France Musique diffusera d'ici peu, où quelques questions sont posées au maître, entre la présentation de quelques-unes de ses pièces chambristes par les élèves du Conservatoire de Caen. Les auditeurs ont jusqu'alors aperçu Elliott Carter à chaque concert, sans autre approche ; cette rencontre leur permet sans doute de faire le lien entre un homme et la musique entendue.

Et parce que tout a une fin, l'heure du thé accueille le Quatuor Diotima qui introduit d'emblée son concert par le redoutable Quintette avec piano de 1997, dans une interprétation nettement moins aride que celle que les quatre jeunes gens en donnèrent à Strasbourg [lire notre chronique du 27 septembre 2003]. Aujourd'hui, Diotima trouve le plaisir du son qui manquait alors, le lyrisme qui rend la démarche du compositeur pertinente à l'audition. Sans doute le piano jubilatoire de Lively y est-il également pour quelque chose. Suivra une fort belle exécution du Quatuor n°2 de Charles Ives (1911-13), particulièrement nuancée, et enfin le Quatuor à cordes n°1 que Carter achevait en 1951, une œuvre qui met magnifiquement en valeur les qualités de chacun des quartettistes desquels elle exige une endurance impressionnante. Voilà qui conclut avantageusement Aspects des musiques d'aujourd'hui, un festival qui porte particulièrement bien son nom, s'agissant de celle de Carter, un compositeur qu'on entend citer Montaigne dans le film de Scherrer : « l'homme ondoyant et divers » – il pourrait bien s'agir de cela dans son long cheminement d'artiste. À quatre-vingt-seize ans, Elliott Carter compose plus que jamais.

BB