Chroniques

par françois jestin

Georg Friedrich Händel | Israel in Egypt, oratorio HWV 54
Ambroisine Bré, Tomislav Lavoie, Melody Louledjian, Krešimir Špicer,

Florie Valiquette, Andreas Wolf – Le Concert Spirituel, Hervé Niquet
Festival Berlioz / Église abbatiale, Saint-Antoine-l’Abbaye
- 21 août 2021
Hervé Niquet joue "Israel in Egypt", oratorio d'Händel, au Festival Berlioz
© bruno moussier

C’est par un coup de billard à deux bandes que le Festival Berlioz programme Israel in Egypt de Georg Friedrich Händel. Pour continuer de célébrer le bicentenaire de la naissance de Flaubert [lire notre chronique de la veille], La Tentation de saint Antoine, publié en 1874, évoque ce moine né en Égypte dont les reliques avaient été ramenées en Dauphiné. Et c’est précisément en l’église abbatiale de Saint-Antoine-l’Abbaye, où sont conservées les reliques d’Antoine le Grand ou Antoine d’Égypte, qu’est joué l’oratorio du Saxon.

Placé sous la direction d’Hervé Niquet, le Concert Spirituel (chœur et orchestre) interprète les deuxième et troisième parties de l’œuvre, précédés du Concerto pour orgue en fa majeur HWV 54. Cette page, également jouée en préalable à la création de l’oratorio en 1739, installe un dialogue vif entre l’orgue positif, tenu ce soir par François Saint-Yves, et l’ensemble des cordes et des bois. À ce court opus est enchaîné, sans temps mort et plutôt naturellement, Israel in Egypt, en commençant par les chapitres 1 à 14 de l’Exode. Les textes et la musique décrivent en particulier les dix plaies d’Égypte jusqu’à l’épisode final où Moïse écarte les eaux de la Mer Rouge, avant que celles-ci ne se referment et engloutissent les Égyptiens à la poursuite des Hébreux.

Mis à part les interventions initiales du ténor et de l’alto, c’est exclusivement le chœur qui est sollicité au cours de cette partie, les choristes étant répartis à droite et à gauche le long de l’orchestre, ce qui produit de très beaux effets acoustiques avec les timbres qui se répondent ou partent en canon. Les voix sonnent avec majesté, soutenues parfois par des cuivres solennels mais jamais ostentatoires au sein de cette formation baroque. L’impression est celle d’une coordination globale sans faille, un groupe tout autant musical que vocal d’une grande cohérence, des artistes qui jouent, chantent mais aussi s’écoutent les uns les autres. Le seul point de faiblesse est toutefois la diction anglaise, pas toujours facilement compréhensible lorsque l’auditeur ne connaît pas le livret par cœur. La position des choristes, qui se font face et gardent un œil de côté sur les départs et intentions du chef, ne favorise certainement pas la clarté de la prononciation pour le public qui les voit de profil. Nous en avons confirmation par la suite.

Après un entracte, la partie suivante, faite de réjouissances et de chants à la gloire de Dieu, est bien plus lyrique, en alternant entre courts airs et parties chorales. Les solistes font face au public et nos oreilles goûtent à l’intelligibilité du texte, cette fois. Les six chanteurs invités sont des noms connus du monde de l’opéra et interviennent chaque fois avec forte présence et caractère. Chantant déjà au début de la partie précédente, le ténor Krešimir Špicer fait valoir une voix forte, autoritaire, aux accents barytonnaux mais en difficulté dans les passages d’agilité [lire nos chroniques d’Il ritorno d'Ulisse in patria à Aix-en-Provence et à Paris, Œdipus Rex, La Didone, David et Jonathas, enfin Lucio Silla], tandis que l’alto Ambroisine Bré [lire nos chroniques de Comala, La clemenza di Tito et Alceste], qui dispose d’une puissance moindre, se montre musicale malgré un petit voile sur la partie grave du registre. Il est difficile de départager les deux sopranos Florie Valiquette [lire nos chroniques du Postillon de Lonjumeau, d’A midsummer night's dream, Stabat Mater Hob.XXbis et Armida] et Melody Louledjian [lire nos chroniques de L’instant de l’eau, Le nozze di Figaro, Cavalleria rusticana, Carmen, La demoiselle élue, Trois contes et de son CD Fleurs], toutes deux excellentes dès le duo The Lord is my strength and my song. Les deux lignes vocales s’y entremêlent avec bonheur, la partie la première poussant un peu plus haut vers l’aigu. The Lord is a man of war, le duo entre les deux basses, est également bien en place, avec la voix sans doute plus opératique de Tomislav Lavoie [lire nos chroniques de La reine de Chypre, Les Huguenots, Les Troyens, Ariane et Barbe-Bleue] et celle d’Andreas Wolf, qui fréquente davantage l’oratorio [lire nos chroniques de Theodora, Messe du Couronnement de Mozart, Die Zauberflöte et Messe solennelle de Berlioz].

Dans cette dernière partie, il faut mentionner à nouveau les qualités des forces chorales, en particulier la souplesse, la dynamique et la vitesse d’exécution des passages rapides, ainsi que les splendides tenues des unissons. À l’issue du final enlevé et de caractère joyeux, Hervé Niquet lève son pouce vers l’ensemble des artistes pendant que résonne encore la dernière note. C’est un bon résumé de ce magnifique concert, chaleureusement applaudi.

FJ