Chroniques

par bertrand bolognesi

Gustav Mahler | Symphonie en ré majeur n°1 « Titan »
Philippe Jordan dirige l’Orchestre de l’Opéra national de Paris

Salle Pleyel, Paris
- 18 février 2012
le compositeur austro-hongrois Gustav Mahler (1860-1910) en 1892
© dr | gustav mahler en 1892

La création de Jeux d’eau s’affichait comme l’événement de la soirée. Pour répondre à la commande de Pierre Bergé pour l’Opéra national de Paris, Bruno Mantovani s’est penché sur la nature sonore d’une eau de torrent, une « analyse acoustique de ce bruissement », dit-il. Affirmant sa démarche compositionnelle « naturaliste », voire « scientifique » plutôt que « métaphorique » à la manière des anciens (nous empruntons aux propos recueillis par Simon Hatab pour le programme de salle), c’est au violon qu’il s’est attaché, car « l’eau se heurte au milieu naturel comme l’archet à la corde ».

Cette nouvelle œuvre d’un seul tenant de vingt minutes est ouverte par un appel de bois en micro-tons, sur une inflexion mollement respirée dont le soliste se fait rapidement le relais. Une tacite péroraison, comme en regard de l’histoire du genre, commence dans le chatoiement calme que l’abondant recours aux micro-intervalles (toujours) nimbe d’une aura spectrale. Le violon de Renaud Capuçon manque de présence ; n’ayant ni la partition sous les yeux ni sous la main le compositeur, reste à savoir s’il en va de la volonté de Mantovani ou de l’approche de l’instrumentiste. Suit une cadence solistique à nue, en mélismes obstinés, bientôt soutenue par un glas désertique des percussions qui va s’élargissant, menant à une rodomontade furieuse du motif solo, relayé par les tremolos du tutti, non sans un effet relativement dramatique, d’ailleurs.

L’écoute rencontre en chemin une effervescence de bon aloi, quasi « marque de fabrique » française des années 1990/2000, dans une facture qui, avec ses contrastes qu’aisément l’on anticipe, semble assez convenue. Un évident savoir-faire est à l’œuvre, notamment dans l’intéressant glas qui marie percussions, cuivres graves et contrebasses, ou encore dans le fascinant ostinato de gruppetti aux flûtes et clarinettes sur une discrète ponctuation de cloches-tubes, par exemple, voire l’envolée d’un bref choral de cuivres. Les relais de timbres (maître-mot pour décrire la pièce) s’érigent en principe – en flux aquatique, bien sûr. Clin-d’œil au passé, ce concerto est conclu avec éclat, par un tam montreur d’ours. Philippe Jordan dirige une exécution soignée qui favorise clarté et mouvement.

C’est une lecture minutieusement soignée de la Symphonie en ré majeur n°1 de Mahler (1889) que livre ensuite Philippe Jordan. On y retrouve cette couleur particulière des cordes, exquisément « ancienne » et idéale dans ce répertoire, dont il cultive le secret. Il joue délicatement avec les timbres et l’adroitenuance des cuivres sur scène en subtile opposition avec la vigueur des sonneries hors-champs. L’arrivée du thème bénéficie d’une tendresse rare. Et quand bien même bondit le resserrement à venir, encore est-ce sans mettre en danger la franche qualité instrumentale d’un abord chambriste, en dépit d’un lyrisme qui semble avoir encore du mal à poindre. Les passages « à danse » croisent une élégance précieuse à laquelle se tiendra le final du mouvement. De même leKräftig bewegt est-il amorcé, plutôt qu’attaqué, par des cordes graves infiniment onctueuses qui placent l’oreille dans le muscle instrumental, pour ainsi dire. Précision, clarté et épaisseur se conjuguent paradoxalement dans une certaine rigueur de ton, sans heurt aucun, confortable. Jordan profite en gourmand du deuxième thème, dans une dynamique raffinée. Pourtant, l’élan qu’on attend passe en second plan.

Suit un Bruder Martin somptueusement exposé par la contrebasse solo. Là encore, le chef contamine sensiblement ses pupitres du soin jaloux qu’il a de chaque timbre. S’il fait un sort au deuxième thème, une certaine dimension, peut-être inaccessible chalin, ne sera jamais atteinte par cette interprétation cependant de grande tenue qui ne laisse rien perdre des détails harmoniques concluant de leurs savants entrelacs chaque épisode. Si la pensée est assurément endurante, encore requière-t-elle un souffle moins court. Le surgissement du Stürmisch bewegt manque de cinglant, quoique la tempête fulmine ensuite, redoutablement assénée. Ce n’est que dans la deuxième section du mouvement que Philippe Jordan s’aventure vers de nouveaux contrastes, mais le retour du premier motif de la symphonie, en ses sournoises hésitations, semble dépourvu de ce chemin à parcourir depuis son apparition initiale, quelques quarante-cinq minutes plus tôt. Précieuse – et l’on n’en saurait déplorer la haute tenue –, cette exécution, tout en arborant l’idéale vestiture, demeure en-deçà des possibilités que nous supposons à ce chef.

BB