Chroniques

par gilles charlassier

Händel | Il trionfo del tempo e del disinganno HWV 46a
René Jacobs dirige le Freiburger Barockorchester

Festival d’Ambronay / Abbatiale
- 15 septembre 2018
À Ambronay, René Jacobs joue Il trionfo del tempo e del disinganno (Händel)
© dr

Après une ouverture sous le signe de Farinelli [lire notre chronique de la veille], l'Italie du Settecento est à nouveau à l'honneur, avec un oratorio qu’Händel écrivit lors de son séjour initiatique transalpin. Matrice d'ouvrages ultérieurs, selon l'usage consacré par l'époque où les compositeurs puisaient dans leur propre fonds, au nom d'une esthétique palimpseste qui dépassait (pour les plus grands du moins) le simple pragmatisme, Il trionfo del tempo e del disinganno fut créé à Rome en 1708, au palais du cardinal Ottoboni. Si le plus connu des emprunts par anticipation reste le Lascia la spina de Piacere, annonçant le Lascia ch'io pianga de l’opéra Rinaldo, l'oreille reconnaîtra un réseau mélodique relativement familier dans toute la période italienne du Caro Sassone, Agrippina ou La Resurrezione en particulier – ce qu'en d'autres termes on appellerait une pâte idiomatique.

Sur un livret de Pamphilj, l'opus développe une allégorie où la Beauté (Bellezza) est tiraillée entre l'immédiateté périssable du Plaisir (Piacere) et la leçon morale du Temps (Tempo) et de la Désillusion (Disinganno). La répartition des tessitures obéit à une symbolique consacrée : les deux premiers personnages, « légers », revenant à un soprano, à charge à la distribution de les distinguer à l'image de l'écriture des deux parties, tandis que les avertissements de la Désillusion et du Temps sont dévolus, respectivement à un alto, la voix de l'Esprit-Saint (et pas seulement chez Bach), et à un ténor – l'on n'est pas ici dans les graves lucifériens ni le saturnisme hellénique, mais dans une parabole conforme aux conventions vaticanes.

Le quatuor réuni remplit la nomenclature, sans oublier de caractériser les prosopopées. En Bellezza, Sunhae Im affirme une légèreté innocente, parfois aux confins du diaphane, en un délicat babil sur lequel le doute, puis la mélancolie de la naïveté et de la séduction juvénile perdues déposeront un voile sensible. Sans doute cette modulation dialectique peut-elle sembler en retrait de la vigueur virtuose et mordante du Piacere de Robin Johannsen, avec un medium nettement plus nourri, sur lequel les vocalises prennent appui pour dessiner une figure tentatrice. Benno Schachtner esquisse la hauteur morale du Disinganno, en équilibrant l'éther de la voix et l'expressivité des mots. James Way impose un Tempo de non moins appréciable facture, et complète un plateau qui sert une théâtralité abstraite mais non absente, où, avec à-propos, entrées et sorties des protagonistes tiennent lieu de mise en espace.

À la tête du Freiburger Barockorchester, René Jacobs encourage les ressources picturales de la partition, avec un sens du calibrage éprouvé, sans chercher à trahir le rythme naturel de l'œuvre ni les discrètes inerties qu'un drame pour la scène aurait résolu différemment. Sans renoncer aux moyens de l'opéra, le chef belge réussit à éviter le piège de la confusion des genres.

GC