Chroniques

par hervé könig

Hänsel und Gretel | Hansel et Gretel
opéra d’Engelbert Humperdinck

Grange Park Opera
- 5 juillet 2019
"Hänsel und Gretel" d’Humperdinck au festival Grange Park Opera 2019
© richard hubert smith

Continuons notre annuelle promenade lyrique à travers les festivals britanniques de l’été à West Horsley Place. Le premier des trois soirs que nous passons à Grange Park Opera est consacré à un classique du postromantisme allemand, traditionnellement convoqué pour Noël – sa première eut d’ailleurs lieu le 23 décembre 1893, où rien de moins que Richard Strauss dirigeait les forces de l’Opéra de Weimar. Pour adapter le célèbre conte de Jacob et Wilhelm Grimm, Engelbert Humperdinck fit appel à sa propre sœur, Adélaïde, qui lui livra un livret alerte.

La mise en scène de Stephen Medcalf insiste essentiellement sur le thème de la gourmandise insatiable… à moins qu’il s’agisse plutôt de faim ? Le fantasme traduit par la maison en pain d’épice est effectivement le reflet de l’extrême pauvreté qui tiraille l’estomac des enfants. En miroir, Medcalf [lire nos chroniques d’Il Pirata, The Saint of Bleecker street, Idomeneo et Un ballo in maschera] montre un monde d’adultes peu recommandables, en proie eux aussi à des appétits peut-être immoraux mais qui leur sont devenus tout autant vitaux : le Sandmännchen est opiomane, la Knusperhexe est totalement alcoolique et Peter, le père des petits, est clairement soumis à une addiction sexuelle sans répit. Dans le domaine champêtre où a lieu la représentation, déplacer en ville la forêt du conte semble tenir d’un pari ! Il est parfaitement réussi, Hansel et Gretel ayant ici à survivre dans une jungle urbaine sans pitié, élevée au rang d’acerbe critique sociale, à la manière des romans de Dickens, comme le suggère le décor d’Yannis Thavoris. Pour calmer l’appel du ventre, que faire dans ce contexte, sinon voler ? Voilà qui mène directement à la maison de redressement, où se déroule le troisième acte. Là, nos gavroches misérables rêvent une sorcière truculente et un festin de bonbons.

À la tête de l’English National Opera Orchestra, le jeune George Jackson s’évertue à souligner les influences wagnériennes de l’œuvre d’Humperdinck. Plutôt que le ferment mélodique et ses savants développements contrapuntiques, c’est avant tout la texture profondément travaillé de l’orchestration qu’il donne à entendre. Nous persistons néanmoins à entendre une parenté avec Mahler et le futur Kurt Weill dans cette partition un peu limitée par la présente lecture.

On retrouve le solide mezzo-soprano de Caitlin Hulcup dans une incarnation très crédible d’Hänsel [lire nos chroniques de Thaïs, Krönungsmesse et Belshazzar]. De cette voix chaleureuse, le phrasé est charnu, parfait pour ce garçon qui doit batailler avec la société. Vif-argent, la Gretel de Soraya Mafi est dotée d’un soprano séduisant et agile [lire nos chroniques de Falstaff et de La divisione del mondo]. Eleanor Sanderson-Nash campe un Sandmännchen inquiétant, d’une voix souple et sonore, et Lizzie Holmes se charge avec avantage du Taumännchen, grâce à l’onctuosité de son timbre. William Dazeley rend son chant volontairement plus épais que d’habitude [lire nos chroniques de Hanjo, La petite renarde rusée et Capriccio] dans le rôle de Peter, père brutal et mari violeur, avec une composition dramatique efficace.

Sans aucun doute, c’est Gertrud, endossant bientôt le tablier de la Knusperhexe, qui triomphe, ce soir. Susan Bullock brûle les planches et enchante les oreilles, d’abord dans une mère assez sévère puis dans une sorcière déjantée qui siffle plus de schnaps qu’elle n’en glisse dans ses tartes ! La densité du timbre et la puissance de l’aigu sont les grands atouts de cette belle incarnation. Une très belle soirée !

HK