Chroniques

par bertrand bolognesi

Hamlet
opéra d’Ambroise Thomas

Opéra Comique, Paris
- 24 janvier 2022
HAMLET d'Ambroise Thomas mis en scène par Cyril Teste à l'Opéra Comique
© vincent pontet

Contrairement à une idée reçue, Fidelio n’est absolument pas un ouvrage lyrique facile à mettre en scène. Sa forme impose à l’artiste une hybridité dangereuse ; son action relativement ramassée exige une option forte et immédiatement compréhensible. À l’inverse, Hamlet d’Ambroise Thomas, qu’il ne nous est pas si souvent offert de voir [lire nos chroniques des productions de Patrice Caurier et Moshe Leiser, Olivier Py, Helen Malkowsky et Serge van Veggel], se développe en cinq actes selon une dramaturgie nettement dessinée, quitte, d’ailleurs, à s’éloigner de l’original shakespearien. Pourtant, Cyril Teste dont nous avons beaucoup apprécié le Fidelio cet automne [lire notre chronique du 25 septembre 2021], perd le fil dans cet Hamlet de 2018, actuellement repris à l’Opéra Comique. La proposition vidéastique (Nicolas Doremus, Mehdi Toutain-Lopez, Paul Poncet) se fait trop envahissante pour laisser au théâtre quelque espace d’expression. De plus, en soulignant outre mesure le procédé à l’œuvre dans l’original élisabéthain – le théâtre dans le théâtre, tel qu’amené par la représentation du Meurtre du roi Gonzague par les amis histrions du prince d’Elseneur –, et en le rappelant sans cesse à travers les images prises en coulisses, en loge, etc., le propos finit par s’appauvrir. On en pourrait longtemps discuter : qu’est-ce qui est théâtre, où est la réalité, le réel n’est-il pas à lui seul le théâtre véritable, la scène ne sacre-t-elle pas le réel, et ainsi de suite… Il n’empêche : en fait de théâtre, et bien qu’un jeu constant entre scène et salle définisse le plus la proposition, il ne se passe plus grand’ chose – c’est dommage.

La première de cette reprise qui comptera six représentations est marquée par l’entrée en fosse du nouveau directeur de l’institution, Louis Langrée, placé pour l’occasion à la tête de l’Orchestre des Champs-Élysées. Le grand sens dramaturgique du chef et sa connaissance du répertoire français favorisent une lecture de belle facture, agrémentée par un art certain de la nuance. Encore faut-il chaleureusement féliciter Les Éléments, ensemble choral qui livre des moments d’une délicatesse inouïe.

Les neuf voix réunies satisfont grandement. Ainsi du Polonius de Nicolas Legoux, baryton élégant qu’on trouvera luxueusement distribué dans ce tout petit rôle. Ainsi, encore, des deux compères, tour à tour Marcellus et Horatio puis fossoyeurs, campés avec avantage par le ténor Yu Shao et la basse Goeffroy Buffière. Ainsi, enfin, du Laërte extrêmement clair et puissant de Pierre Derhet dont la ligne est adroitement conduite. Si l’on est nettement moins convaincu par la prestation de Sabine Devieilhe en Ophélie trop confidentielle et minaudant un rien, on applaudit Laurent Alvaro en un Claudius de saine fermeté. Après l’annulation du concert du Quatuor Diotima, la semaine dernière, pour cause de test positif au Covid-19 d’un de ses membres [lire notre chronique du 18 janvier 2022], puis l’avalanche d’embûches vécues par l’Opéra national du Rhin qui parvenait toutefois à assurer la première de la création française de Die Vögel [lire notre chronique du 19 janvier 2022], le mezzo-soprano Lucile Richardot révèle à son tour une contamination qu’on lui souhaite asymptomatique. Elle est remplacée par Géraldine Chauvet qui prête à la reine Gertrude un timbre finement obombré, apte à transmettre l’inquiétude du personnage [lire nos chroniques de Reigen et de Dialogues des carmélites]. Enfin, deux chanteurs subjuguent l’auditoire : Jérôme Varnier en Spectre sombre à souhait, également servi par un physique longiforme au visage grave ; Stéphane Degout, baryton-miracle du rôle-titre, comme il l’a souvent prouvé et le prouve encore. Les artistes affichent tous une diction exemplaire au service d’une prosodie pas toujours simple, pourtant. Mention spéciale à Édouard Hazebrouck, l’une des voix des Éléments, qui, dans la pantomime centrale, incarne un Gonzague tout de douceur amoureuse abusée.

BB