Chroniques

par bertrand bolognesi

Hector Berlioz | Roméo et Juliette, symphonie dramatique Op.17
Joyce DiDonato, Cyrille Dubois et Christopher Maltman

Orchestre Philharmonique de Strasbourg, John Nelson
Philharmonie, Paris
- 10 juin 2022
John Nelson et l'Orchestre Philharmonique de Strasbourg jouent Berlioz
© nicolas roses

Il y a quelques années déjà, John Nelson a souhaité revisiter sa propre passion pour la musique de Berlioz, ce qui le conduisit au pupitre de l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg (OPS) pour plusieurs concerts dont le premier a positivement marqué le temps d’avant la pandémie : l’opus 1 de ce vaste chantier n’était rien d’autre que l’opus 29 du compositeur romantique, soit Les Troyens (1858), opéra au grand complet dont la distribution réunissait une assemblée plus que bien chantante. Fort de l’expérience, le chef étasunien retrouva deux ans plus tard la phalange nationale pour la légende dramatique Op.24, La damnation de Faust (1846) [lire nos chroniques du 17 avril 2017 et du 25 avril 2019]. Ces deux concerts, plusieurs fois joués, ont été enregistrés in loco et sont désormais disponibles en coffrets CD (Erato). Quelle(s) page(s) berliozienne(s) choisir pour prolonger l’aventure ? Sans exclure les monuments d’inspiration sacrée que sont la Grande messe des morts Op.5 (1837), L’enfance du Christ Op.25 (1854) et le Te Deum Op.22 (1855), on peut imaginer pouvoir entendre sous cette baguette les opéras Benvenuto Cellini Op.23 (1838), d’après les mémoires de l’artiste florentin, et Béatrice et Bénédict Op.27 (1862) qui adapte la comédie Much ado about nothing de Shakespeare. C’est pourtant vers les formes hybrides que John Nelson se tourne à nouveau, puisqu’après la légende c’est la symphonie dramatique qu’il interprète, via la célèbre tragédie de Shakespeare, si cher au Français. Ainsi, après celui du Palais de la Musique et des Congrès de Strasbourg, l’auditoire de la Philharmonie de Paris se trouve-t-il propulsé en 1847, année d’achèvement de la version définitive de Roméo et Juliette Op.17, l’œuvre ayant vu le jour dans une première mouture le 24 novembre 1839.

L’attrait pour l’invention de nouveaux genres titillait suffisamment Berlioz, au lendemain de la Fantastique Op.30, déjà symphonie à programme, pour qu’il s’éloignât des formes idéalement confites à l’âge classique, si bien qu’en 1834 il signait cet étrange objet qu’est Harold en Italie Op.16, encore une symphonie mais concertante, cette fois. Cinq ans plus tard, il livrait Roméo et Juliette dont l’hétérogénéité des parties peut encore surprendre les oreilles du XXIe siècle. Pour l’occasion, l’OPS s’associe le Chœur de l’Opéra national du Rhin et le Coro Gulbenkian. Préparés par Jorge Matta pour ce dernier et par Alessandro Zuppardo quant au premier, les voix brillent ce soir par un abord infiniment ciselé dont la vaillance comme la subtilité musicale satisfont pleinement, y compris sur le plan de la diction, ce qui n’est guère souvent le cas.

Si l’acoustique particulière de l’édifice de Jean Nouvel ne fait pas souffrir le rendu choral, elle malmène celui de l’orchestre et plus redoutablement encore celui des solistes vocaux. Aussi ne sommes-nous pas assez sûrs de ce que le phénomène fit percevoir fût réalité pour embarquer notre dire dans une appréciation qui nous semble dès lors érodée. Sans doute la prise de son effectuée à Strasbourg en amont de la soirée parisienne, commercialisée en mars prochain, permettra-t-elle mieux de s’en faire quelque idée – aussi paradoxal que celui puisse paraître. Dans la salle, seule la prestation du baryton-basse Christopher Maltman put venir jusqu’à nous, partant qu’il n’était sans doute pas judicieux de placer Joyce DiDonato (mezzo-soprano) et Cyrlle Dubois (ténor) au gouvernail de la tribune de chœur.

À feuilleter la brochure de la saison prochaine, c’est à l’été qu’on y retrouve John Nelson dans un nouveau programme Berlioz : l’opéra Béatrice et Bénédict [lire nos chroniques des productions de Bordeaux, Paris, Glyndebourne et Lyon] sera donné à La Côte Saint-André, dans le cadre du festival dédié au compositeur qui naquit là en 1803. 2022/23 est attirant à plus d’un autre titre, puisque certaines pages anciennes connues qui demeurent relativement rares en région s’y feront entendre – Le poème de l’extase de Scriabine, par exemple, ou la Troisième Symphonie de Bruckner –, ainsi que le Concerto en fa majeur de Marie Jaëll (1882) que personne ne joue. Outre ces agréments non négligeables, il faut mentionner la présence contemporaine au sein du futur calendrier des concerts que viendra jalonner l’exécution d’œuvres de Ligeti, Manoury, Messiaen, Pesson, Reich, Rotaru, Saariaho et Šenk, sans oublier celles de Bruno Mantovani, nouveau compositeur en résidence. À bon entendeur…

BB