Chroniques

par irma foletti

I due Foscari, opéra de Verdi en version de concert
Massimo Zanetti dirige l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo

Plácido Domingo, Francesco Meli, Anna Pirozzi, Alexander Vinogradov, etc.
Opéra de Monte-Carlo / Grimaldi Forum
- 5 décembre 2020
Statue de Verdi par Luigi Secchi à Busseto, photo de Bertrand Bolognesi
© bertrand bolognesi, busseto 2019 | statue de giuseppe verdi par luigi secchi, 1913

L’Opéra de Monte-Carlo a réussi à maintenir, contre vents, marées et Covid-19, I due Foscari de Verdi en un unique concert qui marque les quarante ans des débuts monégasques de Plácido Domingo. La distribution vocale réunie autour de l’ex-ténor espagnol, désormais baryton, touche à l’excellence, ainsi que les forces orchestrales et choristes. Dès les premières mesures, Massimo Zanetti montre sa maîtrise des équilibres, sa variété de contrastes et de nuances apportés à la partition du jeune Verdi, l’ouvrage étant le sixième dans la chronologie de ses opéras. Le rendu musical ne manque jamais de caractère, l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo offre du volume quand il le faut mais sans noyer le plateau sous un flot de décibels inconfortable. Tous les instrumentistes font également un sans-faute, depuis les soli de la clarinette puis de la flûte, dans la courte Ouverture, jusqu’à la musique plus légère et fraîche qui accompagne la régate vénitienne au début du troisième acte, en passant par la très harmonieuse entame du deuxième, à deux instruments (alto et violoncelle).

Plácido Domingo fêtera son quatre-vingtième anniversaire en janvier 2021. Si la démarche, à son entrée en scène, n’a évidemment plus sa jeunesse d’antan, la voix reste un véritable phénomène. Dès ses premières interventions, le timbre, reconnaissable entre tous, est plein et fermement projeté, sans aucun vibrato embarrassant. Le rôle de Francesco Foscari correspond bien à ses moyens d’aujourd’hui [lire notre critique du DVD], un emploi qui ne l’expose que peu lors des deux premiers actes, avec la romance O vecchio cor, che batti puis des duos et trios. Son morceau de choix est placé en fin d’opéra, c’est l’air Questa è dunque l’unica mercede au cours duquel l’émotion est indéniable, même si l’instrument ne se montre pas toujours homogène en volume.

En Jacopo Foscari le ténor Francesco Meli commence agréablement dans l’air Dal più remoto esilio, après un rapide réglage de la juste intonation. La diction est très claire – la meilleure de la soirée – le vibrato reste sous contrôle et l’artiste parvient à amener certaines nuances en allégeant l’instrument. Son mordant habituel est présent [lire nos chroniques de Falstaff, Anna Bolena, Giovanna d'Arco, La traviata et Messa da Requiem], ainsi que sa puissance dans le registre aigu, dont il use beaucoup par la suite, en prenant certaines notes par-dessous au cours de l’Acte II. Le chant est certes de grande ampleur et épanoui, mais l’émotion produite n’est sans doute pas, ce soir, à la hauteur de celle produite par le père Foscari.

Pas non plus de problème de réserves de puissance chez Anna Pirozzi en Lucrezia Contarini, soprano de format dramatique [lire nos chroniques de Manon Lescaut et de Macbet à Turin et à Parme] dont l’Opéra de Monte-Carlo peut se réjouir de la présence après son Imogene dans Il Pirata ici-même en mars dernier. L’Italienne émet tout aussi bien de magnifiques sons filés dans Tu al cui sguardo onnipossente, la cavatine du I accompagnée par la harpe, puis enfle de manière impressionnante quelques aigus dans la cabalette qui suit, O patrizi… tremate. La chanteuse est à l’aise sur toute l’étendue de la tessiture, jusqu’à certains graves bien exprimés. Elle se montre par ailleurs suffisamment souple au cours des brefs passages d’agilité.

Au delà de ces trois rôles principaux, Jacopo Loredano, le concepteur de la fausse accusation qui mènera à la mort des deux Foscari, est vocalement bien plus secondaire. Dommage que Verdi n’ait pas composé d’air séparé pour la basse, car la voix belle, profonde et autoritaire d’Alexander Vinogradov est parfaitement en situation [lire nos chroniques de Ernani, Francesca da Rimini, I vespri siciliani, Guillaume Tell, Don Carlo et Carmen]. Contrat rempli également pour les comprimari Giuseppe Tommaso (Barbarigo), Erika Beretti (Pisana), Vincenzo Di Nocera (un fantassin), Andrea Albertolli (un serviteur). Une mention, enfin, pour le Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo, superbement préparé par Stefano Visconti, magnifique de cohésion et à même de délivrer un large éventail de nuances, le piano subito se mettant en place immédiatement et idéalement sur le numéro d’entrée, Silenzio, mistero.

IF