Chroniques

par françois cavaillès

Il barbiere di Siviglia | Le barbier de Séville
opéra de Gioachino Rossini

Opéra national du Rhin, Strasbourg
- 22 septembre 2018
À Strasbourg, Michel Gamba joue Il barbiere di Siviglia (1816) de Rossini
© klara beck

Jeunes présomptueux, si pressés d'accepter, au temps des fêtes, la commande d'un opéra en dernière minute ! La gageure ressemble aux jeux du cirque (à Rome), pour le librettiste débutant Cesare Sterbini et le précoce Gioachino Rossini, compositeur et directeur musical à Naples, monté du Sud plein d'appétit et de vitalité. « On avait déjà pris beaucoup de retard, mais les deux auteurs respectèrent vaillamment leur engagement. Sterbini signa son contrat le 17 janvier [1816] et remit le premier acte le 25, le deuxième le 29. Rossini travailla à la vitesse d'un copiste », raconte Fedele D'Amico dans Il teatro di Rossini (1992) que cite la brochure de salle du Barbier de Séville en nouvelle production pour ouvrir la toute fraîche saison de l'Opéra national du Rhin.

Sur le câble à haute tension de Beaumarchais – Le barbier de Séville ou La précaution inutile, pétillant livret d'opéra écarté par l'Académie royale pour devenir une pièce de théâtre créée à Paris en 1775 –, les deux grands esprits devaient se rencontrer, fidèles au rocambolesque Figaro, qu'on retrouve de manière étonnante dans l'ouvrage donné à Strasbourg. Heureusement nourrie de violons incisifs par l'Orchestre symphonique de Mulhouse, l'Ouverture dégage déjà une impression de force et de sérieux. Le décor unique – une place espagnole d'Avant-Régime aussi colorée que réaliste – et la très sombre procession religieuse initiant l'action dans un silence pesant portent le sceau intimidant d'une comédie de mœurs bien pensée et réalisée par Pierre-Emmanuel Rousseau, également auteurs des costumes d'époque, parfois bigarrés d'une touche moderne.

Si les premières voix rassurent – le Fiorello ému et distant du baryton Igor Mostovoi, les Chœurs de l'Opéra national du Rhin exacts et toniques et l'Almaviva au timbre juste et à l'admirable élan du ténor Ioan Hotea [lire notre chronique du 17 mars 2016] –, la scène inaugurale se conclut dans une étrange confusion, sur scène et dans la fosse, tandis que l'assemblée des musiciens, dressés en cape noire et coiffés de très larges bicornes, tournoie autour du comte, debout sur une chaise. La vénalité n'apparaît peut-être pas tant que les intentions de mise en scène l'avancent. Cependant, deux interprètes passés maîtres dans la haute voltige rossinienne dépassent avec bonheur toute la rouerie requise. Leonardo Galeazzi signe un inoubliable Basilio, aussi fin que graveleux dans le récitatif. Subtil et généreux dans le jeu de perruque associé à son froc trop large, le baryton italien rayonne plus largement, bien entendu, dans tout l'air de la calomnie, soit d'un chant jouissif et animal, captivant de drôlerie et de démesure, tout en colportant savamment le bon mot de Beaumarchais, dans un joyeux plaisir théâtral. Plus expressif encore, Carlo Lepore excelle en un Bartolo crédible, élégant et très animé par l'adéquate furia transalpine [lire nos chroniques du 22 juin 2018, du 15 août 2017, du 26 février 2010 et du 11 mars 2005]. La basse se fait particulièrement jubilatoire, ainsi que martiale, pour le grand air A un dottor della mia sorte – peut-être le clou de la soirée, puisque la baguette de Michele Gamba [lire notre chronique du 28 février 2017] s'allume enfin et que l'avant-scène accueille soudain une longue table de banquet pour Rosina et Bartolo, comme pour alimenter littéralement le feu de la querelle. À cette partie de malin bruit de bouche, de grossière feinte de mort, on jurerait reconnaître, en le tempêtueux tuteur grisonnant, le Signor Tamburossini en personne !

Plus fraîche est Rosina, d'autant qu'il s'agit d'une prise de rôle par le mezzo-soprano Marina Viotti. En cohésion avec la conception d'un personnage féminin fort et volontaire, elle montre un ambitus intéressant et une certaine facilité pour le bel canto. Sans songer à compensation, l'amateur de soprano apprécie en Berta l'agilité de Marta Bauzà, particulièrement claire et décidée dans Il vecchiotto cerca moglie [lire notre chronique du 10 décembre 2017]. Enfin, sac de marin à l'épaule, Figaro a la bravoure et le nerf du jeune baryton Leon Košavić qui dompte la fameuse cavatine seul en scène, sans accessoire ni relief [lire nos chroniques du 6 avril 2018 et du 4 juin 2017]. Surtout, faisant montre d'une belle complicité comédienne dans les duos, le rôle-titre apparaît bien comme le trait d'union du plus célèbre opera buffa de Rossini, artiste gourmand et tendre, à l'humour irrésistible et sachant encore mieux que faire rire. C’est précisément ce que ce nouveau spectacle original, laissant encore une impression mi-figue mi-raisin, mais sans doute appelé à se bonifier bientôt en tournée, se hâte de célébrer joliment dans l'urgence du présent, en précipitant le mariage final dans les airs, projetant ainsi la signification de La précaution inutile par-delà l'échelle du commun.

FC