Chroniques

par laurent bergnach

Jean Deroyer dirige l’Orchestre des Lauréats du Conservatoire
créations de Tom Bierton, Thomas Menuet et Matias de Roux

Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse, Paris
- 20 septembre 2019
 Jean Deroyer joue Tom Bierton, Thomas Menuet et Matias de Roux
© dr

Élèves au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, Tom Bierton, Thomas Menuet et Matias de Roux ont, cinq années durant, élargi leurs horizons esthétiques grâce à leurs professeurs de composition (Frédéric Durieux, Gérard Pesson) et à d’autres, spécialistes en nouvelles technologies (Yan Maresz, Luis Naón, Oriol Saladrigues). Le concert du Prix de composition vient couronner ce parcours, premier d’une série de trois auquel s’associe l’Orchestre des Lauréats du Conservatoire (OLC) que mène Jean Deroyer – ancien de l’institution où il obtint cinq premiers prix [lire nos chroniques du 20 octobre 2017 et du 12 mai 2010, entre autres].

« Surenthousiaste, grotesque, sensible, un peu fou, très touche-à-tout, passionné par le jazz, l’électro, habité par la diversité de l’art », c’est ainsi que ce présente Tom Bierton (né en 1991) [photo], au moment de faire entendre ce qu’il juge un véritable autoportrait : Summentumon – The prospect of motility. En effet, dans cette pièce pour une dizaine d’instrumentistes et chanteurs, le Savoyard multi-facettes (peinture, sculpture, etc.), qui confronte naturellement son travail musical à d’autres arts (cinéma, cirque, etc.), célèbre un certain foisonnement. Pour une bonne part, l’accordéon et une percussion plutôt organique (peaux, bois, coquillages) tissent un cocon moelleux d’où fusent les interventions souvent brèves du soprano Anne-Laure Hulin et de la basse Aymeric Biesemans (vocalises, onomatopées, bâillements, etc.). Un danseur est présent, presque nu, qui réagit aux stimuli de la musique en lui volant peu à peu la vedette – de même qu’il rend dispensable et redondant le film d’animation projeté en fond de scène. C’est qu’en illustrant la notion de motilité, Léo Manipoud montre des talents variés (contorsionniste, acrobate, danseur) pour faire entrevoir une réalité humaine entre légèreté et inertie. Même allongé, le corps connait des soubresauts fessiers et peut avoir, quand on le croyait définitivement inerte, un ultime sursaut pour retomber avec un cri.

Si l’apprentissage du piano, plutôt que du saxophone, différencie Thomas Menuet (né en 1987) de son jeune confrère, les rapproche l’envie de collaborer avec le théâtre et la danse. C’est d’ailleurs à un spectacle mêlant mots et notes que nous invite le natif de Bayeux. Refuge narre l’histoire d’un vieux poilu, blessé et convalescent, qui part à la recherche d’un ami stationné à Bois-le-Prêtre (Lorraine). À une petite fille abandonnée qu’il prend sous son aile, il raconte avec pudeur l’enfer des soldats de la Grande Guerre, inépuisables avant de réclamer une musique consolatrice. Lui-même a bricolé un ersatz de violoncelle, dans les tranchées ! Pas toujours compréhensibles, Claude Ribouillault (récitant) et Suzanne Rias (voix du haut-parleur) laissent heureusement une grande place à la douzaine de musiciens qui signalent l’arrivée du froid – flûte et clarinette écorchées – ou la fièvre d’un « bain chaud de sons » – trompette et trombone en tête. L’orchestre livre aussi des parodies des marches déraillantes, sur les traces d’un Stravinsky, avant le solo pianistique de fin.

Donné sans entracte, le concert s’achève avec Uróboros pour ensemble et électronique. Cette pièce en quatre parties, signée du Colombien Matias de Roux (né en 1988), obéit au principe de circularité – comme l’indique son titre qui convoque la figure connue de l’animal qui se mord la queue, serpent ou dragon – et joue avec plusieurs types et degrés de répétitions. Trouvant du relief grâce à une grande variété d’instruments et de techniques (accordéon, marimba, piccolo, contrebasse, piano joué sur les cordes, violon approché par un frottement circulaire, etc.), l’œuvre agite des masses et des énergies avec un remarquable sens du dosage. Elle est riche sans être touffu, et pas ennemie de l’allégement s’il faut créer du mystère. Ce dernier est bien servi par une électronique sans raffinement excessif, préférant la franchise d’un galop de cheval à des halos réverbérés, par exemple. On garde à l’oreille la menace sourde provoque par l’utilisation inventive d’un gong chinois, qui saisit l’auditeur comme surent le faire certaines pages d’Harvey et de Romitelli.

LB