Chroniques

par bertrand bolognesi

Jean Tubéry et Jordi Savall
un camino de Santiago / The Teares of the Muses

Festival de Sablé / Prytanée militaire de La Flèche, Église de Meslay-du-Maine
- 25 août 2004
Prytanée militaire de La Flèche
© anaclase

Pour son concert en la Chapelle Saint-Louis du Prytanée Militaire de La Flèche, mercredi en début d'après-midi, Jean Tubéry a imaginé un voyage vers Saint-Jacques de Compostelle : venus de toute l'Europe, les pèlerins s'acheminent vers l'extrême occident, chacun transportant sa culture qu'il confrontera à celle des contrées traversées, jusqu'à la latinité finale. Outre qu'elle est charmante, l'idée permet de faire entendre les chansons que les voyageurs inventèrent durant leur long périple, marquées par des influences diverses, au hasard des étapes et des rencontres.

Ce Camino de Santiago est ouvert par Aus Straßenburg, du haut de la splendide tribune qui soutient les orgues du Prytanée. Comme souvent, Jean Tubéry joue sur des effets de spatialisation, créant par la surprise une concentration particulière du public. La voix et le cornet sont réunis autour de l'orgue, avant que de voyager, tels les pèlerins eux-mêmes, sous une vigoureuse et brève sonnerie, dans les galeries qui surplombent la nef jusqu'au chœur. C'est séduisant, mais pas toujours compatible avec l'acoustique des lieux. Nous rencontrions déjà ce souci avec La Fenice il y a une petite année, en l'Église du Val de Grâce [lire notre chronique du 13 septembre 2003]. Cela n'empêche pas de goûter les délices d'une interprétation éclairée, livrée par des artistes prodigieusement polyvalents, puisque chantent également le gambiste Gebhard David et l'organiste Sébastien d'Hérin (qui tient aussi la partie de clavecin), jouant volontiers flûtes et cornets, de même que le maître d'œuvre se révèle un diseur haut en couleurs. Du nord-est au sud-ouest, Mercedes Hernandez entonne, outre des pièces demeurées anonymes, Loth, Waidman, Du Caurroy, Gantez, Moulinié, croisant les fidèles du sud-est en chantant Coferati et quelques autres, dans une couleur plus spécifiquement dramatique, et abordant les œuvres espagnoles, pour finir. Avec un chant gracieux à l’expressivité parfois truculente, le soprano conquiert l'auditoire.

Quelques heures plus tard, Hespèrion XXI se produit en l'Église Saint Pierre et Saint Paul de Meslay-du-Maine, joli village situé entre Sablé et Laval, visité pour son Château des Arcis construit au XVIe siècle et que rendit célèbre son rôle lors de l'insurrection légitimiste de 1832. Avec le soprano Montserrat Figueras, un luthiste et quatre gambistes sont réunis par Jordi Savall dans un programme intitulé The Teares of the Muses, consacré à des airs et danses du XVIe anglais – comme son nom l'indique, emprunté à une gaillarde de Holborne ici donnée. Les compositeurs d'alors furent largement influencés par le madrigal italien : c'est donc à une traversée généreusement pédagogique qu’invite le consort de violes, faisant sonner la musique de Byrd, Dowland, Lawes et Gibbons, mais encore celle de Caccini, Merula et Ferrabosco. Si l'on apprécie le raffinement de ce répertoire grâce à des interprétations toujours soignées de la part d'Hespèrion XXI, les interventions du soprano ne s’avèrent pas toujours heureuses. La voix paraît aujourd'hui fatiguée et instable, peu fiable dès qu'il s'agit de vocaliser. En revanche, Montserrat Figueras sert ces pages avec une sensibilité incomparable et un style remarquablement expressif.

BB