Chroniques

par irma foletti

John Nelson dirige l’Orchestre Philharmonique de Nice
La damnation de Faust Op.24, légende dramatique d’Hector Berlioz

John Irvin, Karine Deshayes, Rubens Amoretti et Luc Bertin-Hugault
Opéra de Nice
- 24 mars 2019
John Nelson joue La damnation de Faust Op.24 d'Hector Berlioz
© dominique jaussein

Éric Chevalier, le directeur de l’Opéra de Nice non reconduit dans ses fonctions depuis février 2019, avait eu une formidable intuition en programmant cette Damnation de Faust, sur deux dates, en version de concert. En premier lieu, l’invitation de John Nelson au pupitre était un gage de qualité de l’entreprise. Ce n’est pas nouveau, le chef est l’un des tout meilleurs berlioziens de sa génération [lire notre chronique des 19 février et 17 avril 2017]. On lui doit notamment quelques parutions de référence, comme Benvenuto Cellini en 2003 (Gregory Kunde, Patrizia Ciofi, Joyce DiDonato, Jean-François Lapointe) ou encore Les Troyens en 2017 avec les meilleurs chanteurs du moment (Michael Spyres, Marie-Nicole Lemieux, Joyce DiDonato, Stéphane Degout), les deux ouvrages ayant été enregistrés sur le vif. Sous sa baguette, l’Orchestre Philharmonique de Nice produit le meilleur de lui-même, avec une attention de tous les instants au respect du rythme, ses cassures, ses contretemps, les seuls petits moments faibles du concert concernant certaines attaques un peu désordonnées des cordes.

Sans baguette et comme une force tranquille, le chef paraît modeler le son de ses mains et s’attache à varier les couleurs, les ambiances, les nuances : la Ronde des paysans est très dansante, les cuivres de la Marche hongroise sont étincelants, la Berceuse est d’une légère délicatesse. Les Chœurs des Opéras de Nice et de Monte-Carlo, réunis pour l’occasion en fond de plateau, se montrent très dignes, même s’ils n’évoluent pas exactement sur les mêmes cimes. Le chef prend d’ailleurs un tempo plutôt lent pour plusieurs passages, comme Villes entourées de murs et remparts, les forces chorales séduisant davantage dans la nuance forte que piano.

Quant à la formidable intuition évoquée ci-avant, la première Marguerite de Karine Deshayes est une vraie révélation. Dès ses premières paroles, Que l’air est étouffant, plane l’ombre de Régine Crespin... excusez du peu ! De nombreuses sonorités, l’articulation du texte, la rondeur et la beauté du timbre, la capacité à enfler presque jusqu’à la démesure certains aigus, tous ces éléments évoquent régulièrement son illustre devancière. L’adéquation des qualités vocales de Karine Deshayes à Marguerite est une évidence. Cette prise de rôle est – on l’espère ! – un prélude à de nombreuses et glorieuses représentations à venir. La Ballade du roi de Thulé est un régal, tout comme la romance D’amour, l’ardente flamme, la chanteuse ne relâchant jamais la concentration et la diction. C’est une qualité que l’on retrouve chez John Irvin (Faust), ténor d’école américaine, assez clair, qui articule suffisamment. La voix est homogène sur l’étendue de la tessiture, du grave bien nourri jusqu’aux aigus brillants. Ceci est cependant vrai jusqu’à une certaine limite : les notes les plus hautes, qui nécessitent une technique de voix de tête ou en voix mixte, le mettent en danger. On sent d’ailleurs le soliste sujet au trac à l’approche de ces courts passages redoutés... et tant attendus par les auditeurs. L’accident est évité – il ne s’agit que d’un petit début de déraillement, vite rattrapé ! Nature immense, plus central pour sa voix, convainc pleinement avec un chant serein, délié et généreux. Si les qualités techniques du ténor sont certaines, il peut encore progresser pour ce qui concerne l’interprétation et l’incarnation du rôle. Cravate, écharpe et lunettes rouges, le Méphistophélès de Rubens Amoretti fait entendre une couleur plus sombre, de vraies sonorités diaboliques dans le grave, et un registre aigu atteint sans difficulté, mais tendant à se resserrer un peu. Le français est facilement compréhensible, avec quand même quelques mots qui sonnent un peu exotique, les nasales en particulier. La distribution est complétée par le Brander de Luc Bertin-Hugault, bien chantant et fort à l’aise dans la partie aigue du rôle. Les chœurs, très sollicités en fin d’ouvrage, donnent alors leur pleine mesure et participent grandement au succès général.

IF