Chroniques

par gilles cantagrel

L’Aiglon
drame musical de Jacques Ibert et Arthur Honegger

Opéra de Lausanne
- 28 avril 2013
L’Aiglon, drame musical d’Ibert et Honegger à l'Opéra de Lausanne
© marc vanappelghem

L’Opéra de Lausanne a fait peau neuve. Après cinq ans de travaux d’agrandissement, de modernisation et de mise aux normes de sécurité, réalisés en respectant rigoureusement l’agenda et le budget prévisionnel, 2012/2013 marque la réouverture d’un théâtre flambant neuf dont fosse et scène ont quasiment doublé de volume. Jeu d’orgue, machinerie, gril, tout est neuf et permet des productions plus exigeantes [1]. Cette saison marque bien la volonté d’Éric Vigié, l’ardent directeur de la maison, d’en diversifier la programmation, entre nouvelles productions, ballets, opéras et concerts baroques, spectacles pour les jeunes publics. Rouvert avec L’elisir d’amore [lire notre chronique du 12 octobre 2012], l’Opéra vient de présenter L’Aiglon.

Ce n’est pas Parsifal, évidemment. Mais on peut se demander pourquoi ce drame musical triomphalement créé en 1937 à Monte-Carlo est aujourd’hui si peu représenté. Quelques reprises ici ou là en France, alors qu’il s’agit d’une œuvre destinée à un large public et voulue comme telle, dotée de tous les ingrédients nécessaires dans une trame dramatique très bien ficelée. Fondée sur la célèbre pièce de Rostand – succès énorme en 1900 et triomphe de Sarah Bernhardt dans le rôle-titre –, il n’y manque ni intrigue historique exaltant l’épopée napoléonienne, ni bal masqué ou chansons populaires, avec de l’amour et de la haine, une puissante évocation de la bataille de Wagram et la mort du héros dans une scène profondément émouvante. Si l’on n’y entend pas de grands airs à succès, la déclamation permet à chaque auditeur d’en suivre l’action pas à pas et d’en vivre intensément chaque scène.

Pour la musique, les deux compositeurs se sont habilement partagé la tâche. À Jacques Ibert le premier et le dernier acte, plus lyriques, écriture raffinée et orchestration élégante. Dans une parfaite continuité de ton, Arthur Honegger s’est chargé des actes centraux, les plus dramatiques, langage plus dru et orchestration plus dense : scène de la terrifiante destruction psychique du duc de Reichstadt, le fils adolescent et indécis de Napoléon, par son tuteur le prince de Metternich au deuxième acte, bataille de Wagram et mort héroïque du fidèle grognard Flambeau au quatrième. Il est vrai que l’ouvrage est lourd à monter et que le rôle travesti de l’Aiglon demande beaucoup de vaillance et un grand talent scénique.

Lausanne a donc présenté une reprise de la production de Patrice Caurier et Moshe Leiser pour l’Opéra de Marseille en 2004, nouvellement réglée par Renée Auphan qui dirigeait alors la scène phocéenne. Beaux et sobres décors, superbes costumes, direction d’acteurs juste et efficace. Jean-Yves Ossonce dirige l’Orchestre de chambre de Lausanne en grande forme avec un sens aigu du lyrisme et du dramatisme de l’ouvrage. Quant à la distribution, elle fait en bonne partie appel à de jeunes chanteurs repérés et suivis dès la fin de leurs études dans les conservatoires, et récolte ainsi les fruits d’un travail de préparation de longue haleine.

Dans le rôle particulièrement vaillant du duc de Reichstadt, le jeune mezzo Carine Séchaye fait preuve d’une maîtrise vocale et d’un talent de comédienne extrêmement convaincants. La silhouette merveilleusement campée, les jeux de scène, la présence, en un mot, ont soulevé le légitime enthousiasme du public. Il en va de même pour le Flambeau de Marc Barrard, de longue date spécialiste des rôles de caractère, personnage tragi-comique qui sait faire « passer » intelligemment quelques redoutables naïvetés et d’incontestables faiblesses des alexandrins d’Edmond Rostand. Juché sur des cothurnes, Franco Pomponi en Metternich tout d’une pièce en impose malgré un accent regrettable. On ne détaillera pas les huit autres personnages, sinon pour mentionner particulièrement la très jolie incarnation par Carole Meyer de Thérèse de Lorget, la dame de compagnie de Marie-Louise dont s’éprend le jeune duc.

Ce spectacle est repris au mois de mai par l’Opéra de Tours. On souhaiterait qu’il fasse l’objet d’un enregistrement vidéo. Autre vœu : qu’attend-on pour exhumer la délicieuse Angélique de Jacques Ibert, ou l’Antigone d’Honegger, son chef-d’œuvre, jadis mis en scène par Jean Cocteau au Palais Garnier ?

GC

[1] La transformation de l’Opéra de Lausanne a suscité l’édition d’un splendide ouvrage retraçant les cent quarante ans d’activité de l’institution. Publié sous la direction d’Éric Vigié, avec des textes de Jean-Pierre Pastori et des témoignages de deux anciens directeurs marquants, Renée Auphan et Dominique Meyer, cet ouvrage est richement illustré (Éditions Favre, Lausanne. 316 pages grand format carré).