Chroniques

par bertrand bolognesi

L’aire du dire
oratorio de Pierre Jodlowski

Théâtre du Capitole, Toulouse
- 5 février 2011
L’aire du dire, oratorio de Pierre Jodlowski
© patrice nin

Premier samedi d’un février anormalement clément qui donne à la ville rose un faux air estival ; le public envahit peu à peu escaliers et couloirs du Capitole. Il ne vient pas retrouver es chères Violetta, Mimi, Cio Cio San, Juliette ou Senta, ce soir, mais découvrir une nouvelle œuvre. Il pénètre le théâtre pour se jeter dans l’inconnu. Le voilà s’installant dans les velours, papotant entre voisins de rang, toussotant de concert dans l’intrinsèque poussière des lieux où se joue la musique. À son dos il fait épouser la marque d’un fauteuil qui bientôt aura pris la forme de son dos. Rien que d’habituel… et pourtant… Tiens, un gazouillis de bambin à sa droite, un souvenir de sonnerie derrière, quelques glissées vocales côté jardin : dans toute l’enceinte se diffusent des sons à peine brouillés, parfois même avatars des bavardages de la salle.

S’inspirant principalement d’un article où Roland Barthes expose et explore le grain de la voix (in Essais critiques III : L’Obvie et l’Obtus, Seuil, 1982), le compositeur Pierre Jodlowski s’est interrogé sur la possible présence vocale dans un théâtre lyrique contemporain. Poursuivant une collaboration de trois ans, c’est tout naturellement qu’il associait le metteur en scène Christophe Bergon à son projet, L’Aire du dire, première commande d’une maison d’opéra.

Il faut dire que depuis l’arrivée de Frédéric Chambert à la tête du Théâtre du Capitole de Toulouse, un vent de nouveauté souffle sur la place. Rappelons qu’en dix-sept ans de règne, la précédente direction ne donnait en voir de contemporain, en tout et pour tout, que le Faust de Philippe Fénelon [lire notre chronique du 25 mai 2007] en création et quelques représentations du Balcon de Péter Eötvös [lire notre chronique du 25 janvier 2004] dont elle reprit la production aixoise. Dès cette deuxième saison se pourra dresser un bilan plutôt positif ; car si la maison s’est volontiers illustrée à montrer le grand répertoire lyrique avec une superbe inégalée par ses consœurs régionales, elle ne se sera guère attelée à la rencontre de son public avec l’aujourd’hui musical. L’innovation ne s’arrête pas là, du reste, puisque le maître des lieux prend le risque d’offrir sa scène à des ouvrages du XXe siècle [lire nos chroniques des Fiançailles au couvent de Prokofiev et d’Erwartung de Schönberg] – comme Aventures et Nouvelles aventures de György Ligeti en juin prochain et Medea de Dusapin il y a quelques jours – à des opus anciens devenus des raretés [lire notre chronique de Iolanta de Tchaïkovski] – comme l’Oberon de Weber (à voir du 19 au 29 avril), musicien dont demeure encore peu donné en France le célèbre Freischütz [lire notre chronique toulonnaise du 1er février 2011] annoncé en avril à l’Opéra Comique dans la version Berlioz-Pacini, et que le Capitole honorait l’an dernier avec Euryanthe donné en version de concert [lire notre chronique du 24 janvier 2010] – et même au renouveau baroque, la coproduction aixoise de Belshazzar de Händel franchissant ces murs en mai 2011.

Ça bouge au Capitole, en résumé !... bien que cet Aire du dire paraît bien être frappé d’immobilisme. Ne s’agissant pas d’un opéra, pas même d’un opéra contemporain, on ne s’étonnera pas de n’y voir représenté aucune action ni aucun fait ou personnage. Aussi son exécution pourrait-elle bien se dispenser de mises en espace et en lumières qui, pour le coup, finissent par représenter assez complaisamment la représentation elle-même (retourner la convention, ce n’est pas encore lui désobéir). C’est qu’aussi L’Aire du dire, à évoquer la voix – celles du chœur de chambres Les Éléments dirigées par Joël Suhubiette – sans ce qu’elle dit ou dans ce que, dans sa nature même, elle dit sans le vouloir dire, érige en art précieux le fait de ne rien dire, convoquant pour ce faire la pâleur maniérée de Christophe Tarkos, poète si blanc que plusieurs compositeurs s’empressent de mettre à leur Une. Rien de bien grave, si ce n’est une tendance douteuse de l’œuvre à pontifier, voire même à donner des leçons de morale (d’autant plus rendues puissantes que le traitement vocal s’avère un rien bêta, que le matériau musical lui-même s’enferre dans un systématisme pauvret et que d’une désopilante indigence se révèle l’imagination rythmique). Les parcours des compositeurs présentent parfois des aires de repos ; aussi retrouverons-nous l’inventivité et la verve de Pierre Jodlowski, n’en doutons pas.

BB