Chroniques

par monique parmentier

l’orchestre de Louis XV
Jordi Savall et Le Concert des Nations

Salle Pleyel, Paris
- 15 janvier 2011
© dr

Ce concert fut exceptionnel à plus d’un titre. Non seulement par sa splendeur, mais aussi parce que celle-ci résultait en partie d’une master class. En effet, ce soir, une part du Concerts des Nations était composée de jeunes professionnels qui eurent la possibilité d’affronter un public exigeant tout en démontrant combien si la valeur n’attend pas forcément le nombre des années, elle est le fruit d’une exigence et d’un travail qui portent leurs fruits. Jordi Savall les accompagna dans cette démarche, car s’il est un musicien et un soliste virtuose, il est également un passeur pour qui la musique est un compagnonnage amical et généreux.

Le programme L’orchestre de Louis XV est constitué de quatre suites pour orchestre de Jean-Philippe Rameau [photo de sa statue par Jean-Jules Alasseur dans le hall du Palais Garnier] issues de quatre de ces œuvres lyriques les plus marquantes, permettant d’appréhender toute la diversité du génie de ce compositeur hors normes. Sa musique est à l’image de ce roi, grand mélancolique qui, pourtant, aimait la fête. Si belle et si démente parfois, pour se révéler son mystère demande des interprètes exceptionnels.

Et de Naïs, en passant par Les Indes Galantes et Zorastre pour arriver aux Boréades, loin de ces livrets si souvent faibles, c’est la palette fauve et démoniaque, tendre et subtile, légère et fluide, populaire et pourtant si noble de Rameau que Jordi Savall et le Concert des Nations offrent ici – une palette d’émotions, d’éléments, de paysages, puisant ses sources dans la mythologie comme dans le théâtre de foire, celle d’un poète homme de scène.

Dès l’Ouverture de Naïs, le public est saisi par la fulgurance des passions à animer cette musique. Sous la direction précise, solaire et élégante de Jordi Savall, l’orchestre sait dialoguer et s’écouter. De cordes souples et incisives émane un feu ardent, comme des flûtes et des hautbois, élégiaques, et des percussions, sombres et telluriques.

Tout au long de la soirée, les cuivres, qu’il s’agisse des trompettes ou des cors, interpellent comme jamais sur une question de justesse tant elle se fait évidente. Flamboyants mais capables de nuances d’un raffinement inouï – comme dans le dialogue des cors et des hautbois dans l’Ouverture des Boréades ou la tenue d’une réelle noblesse des trompettes dans l’air des Incas – le plaisir des musiciens autorise tout. D’une précision métronomique et pourtant si poétique la contredanse en rondeau des Boréades subjugue par son ensorcelante virtuosité, au point de provoquer des applaudissements prématurés. Dans l’air tendre en rondeau de Zoroastre, la mélancolie mystérieuse, presque ésotérique de la flûte de Marc Hantaï, envoute par son lyrisme magique.

Le temps d’un concert, les artistes recréent les univers si uniques de chacun de ses quatre opéras. Et de l’exotisme des Indes Galantes au mysticisme sombre et exalté de Zoroastre, à la tendresse de Naïs où charment les tendres volutes de la musette, ils les font vibrer dans un bonheur communicatif, transportant l’auditoire jusqu’à l’inoubliable instant, celui de leur merveilleuse interprétation d’extraits des Boréades qui longtemps nous habitera. Les couleurs vives et virtuoses de cette œuvre sont sublimées par les peintres-musiciens du Concert des Nations. Extraits de la même tragédie lyrique, trois bis concluent une fascinante soirée, Jordi Savall partageant avec le public un instant joyeux, rare et délirant, en le faisant battre des mains le rythme endiablé de la contredanse très vive.

MP