Chroniques

par laurent bergnach

La Belle et la Bête
film de Jean Cocteau – musique de Philip Glass

Nouveau Siècle / Opéra-Théâtre, Saint-Étienne
- 18 janvier 2014
La Belle et la Bête, ciné-opéra Cocteau – Glass
© charly jurine | opéra théâtre de saint-étienne

Avec la guerre, Jean Cocteau délaisse la poésie et le théâtre pour retrouver le chemin des studios de cinéma qu’il avait emprunté une première fois en 1930, avec Le sang du poète : entre l’écriture des scénarios de L'éternel retour (1943) et Ruy Blas (1948) – longs métrages réalisés respectivement par Jean Delannoy et Pierre Billon –, il réalise La Belle et la Bête qui rencontre le public parisien enthousiaste le 29 octobre 1946. Interprète de trois personnages (la Bête, effrayante mais bonne, le soupirant Avenant à la beauté sans cœur et le Prince Ardent libéré du sortilège), Jean Marais aurait guidé son pygmalion vers les contes de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont et Marie-Catherine d'Aulnoy, avec l’idée d’un rôle où son physique avantageux ne serait pas mis en avant. D’ailleurs, n’est-ce pas la leçon première de cette histoire : apprendre à sentir les qualités d’une personne, passées les premiers moments de répulsion ?

Ancien élève de Nadia Boulanger et Darius Milhaud, pionnier de la musique minimaliste dans les années soixante, Philip Glass a toujours aimé collaborer avec le théâtre, la danse ou encore le cinéma. Parallèlement à la Trilogie des Qatsi (1982-2002) de Godfrey Reggio [lire notre chronique du 18 décembre 2005], le compositeur livre trois œuvres inspirées par celui de Jean Cocteau : l’opéra de chambre Orphée (1993), le « dance-opera » Les enfants terribles (1996) [lire nos chroniques du 24 novembre 2011 et du 5 décembre 2007] et La Belle et la Bête (1994), d’un genre nouveau qui nécessite la projection du film éponyme, régulièrement restauré depuis lors. De même que Satie fut une référence pour Cage, Glass accorde au poète une place centrale au XXe siècle – que lui refusent souvent les Français – puisque « il n’a eu de cesse d’aborder les questions de l’art, de l’immortalité et du processus créatif, en en faisant les sujets de son œuvre […] Le film raconte comment un être mi-homme mi-bête, c’est bien ce que nous sommes, subit une transformation qui l’amène à l’état de noblesse qui définit l’artiste ».

Allégorique, profond et éloquent, La Belle et la Bête retourne d’abord au stade du film muet – quelques bribes sont conservées (chants d’oiseaux, bris de verre, etc.), mais adieu la musique de Georges Auric dirigée par Roger Desormière ! – avant que le musicien d’Einstein on the beach [lire notre chronique du 16 mars 2012] invente des phrases chantées à partir du dialogue original, et vise un play-back le plus satisfaisant possible, compte tenu des contraintes de débit. Conçue pour cordes, vents et percussions, la partition implique trente-deux instrumentistes et chanteurs.

Ce soir, ni harpe, ni triangle, ni marimba puisque le Philip Glass Ensemble – fondé en 1968 et salué hier par près de trois quarts d’heure de rappel [lire notre chronique de la veille] – se trouve réduit à trois synthétiseurs, trois vents (un piccolo, en particulier, propre à décrire le désespoir commun des deux personnages enfermés au château) et quatre chanteurs au lieu des six prévus. Celui qui ne connait pas la partition originale pourra certes goûter les tourbillons et volutes sonores qui répondent à celles de la brume et des forces féériques, mais plus difficilement la diction catastrophique de Marie Mascari et le chant nasillard de Gregory Purnhagen – heureusement, Hai-Ting Chinn et Peter Stewart s’en sortent mieux. Au final, outre les nombreux accrocs de la projection numérique, on a l’impression d’avoir assisté à une version au rabais d’un programme qui déstabilisera longtemps les générations attachées à la voix singulière de Jean Marais.

LB