Chroniques

par françois cavaillès

La bohème
opéra de Giacomo Puccini

Deutsche Oper, Berlin
- 23 décembre 2017
à la Deutsche oper Berlin, reprise réussie de La bohème de Götz Friedrich
© bettina stöß

Il souffle une bise frisquette sur l'interminable Kaiserdamm, et un tout léger parfum de bretzels à la porte de la Deutsche Oper, pleine comme un œuf au rendez-vous d'une représentation familiale (Familienvorstellung) de La Bohème. Hé oui, revoici l'inoxydable drame de Puccini, vieille lune de l'opéra donnée tant et tant, qui garde pourtant cette manie de filer entre les doigts au travers du grand calendrier de fin d'année [lire notre chronique du 13 décembre 2017]... À la faveur d'une reprise berlinoise, la douce gâterie de Noël, offerte en première le 25 décembre 1988, revient au menu afin, peut-être, de calmer par son paisible récit classique l'infernale bougeotte du temps des fêtes.

De souffle, l'orchestre de la maison jaune, dirigé par le jeune chef australien Nicholas Carter, ne manque pas pour créer l'atmosphère opulente de la mansarde, vaste atelier de peintre parisien du début du XXe siècle. L'esprit jovial et la force brûlante du drame ont fière allure, au delà de la comédie farceuse offerte par les quatre copains insouciants, bousculant le brave logeur Benoît, gesticulant ou même cavalant presque le long de la grande avant-scène.

Avec un même soin d'authenticité, dans un théâtre juste, sobre et digne, traversé de pudeur et de rêve, se joue la rencontre entre Mimi et Rodolfo. Le ténor Yosep Kang y fait montre d'un très beau timbre, dans un cadre visuel subtilement vivant, sur fond de fine neige et de buée nées aux vitres montmartroises avec le grand amour (décors de Peter Sykora, lumières de Stephen Watson).

Au deuxième tableau, grand déploiement festif au café Momus, l'impression de fidélité aux intentions premières de Puccini et de clarté scénique est encore accentuée. Toute la vigueur, la richesse et l'à-propos des personnages sont bien exprimés, en rapport intelligent avec le thème amoureux (reléguant la comédie au second rang). Chœur et Maîtrise maison rivalisent dans les clameurs, acrobates et feux d'artifices ravissent les yeux, en habile toile de fond des intenses discussions entre les protagonistes. Et dans ce superbe effet d'ensemble, élégant, émouvant et enlevé, le moment est venu de distinguer le vif tempérament et les vocalises altières de Musetta, nouvelle grande réussite du soprano Siobhán Stagg [lire nos chroniques du 5 novembre 2017, du 15 février 2016 du 12 juin 2015 et du 1er août 2013].

Sur le même fil poétique et honnête, le lyrisme atteint son apogée à l’Acte III, ouvert sous un ciel lait de poule, au pied d'impressionnantes fortifications. Au chapitre des confessions se révèle pleinement le charme de Mimi, vivace et sensible, par le soprano russe Elena Guseva. Mais encore, la satisfaction vocale optimale provient à l'écoute de Marcello, au chant franc et cordial comme un verre de Glühwein, servi par le baryton Markus Brück [lire notre chronique du 29 septembre 2017]. En outre, la basse Ante Jerkunica apporte, pour sa part, rondeur et chaleur au philosophe Colline [lire nos chroniques d’I Capuleti e Montecchi, Les Huguenots, Das Liebesverbot, Parsifal, Tristan und Isolde, Die Walküre et Die Zauberflöte, entre autres], tandis que le baryton Philipp Jeckal offre un Schaunard mélodieux.

Tous ces éléments concordent donc pour se mettre au service de la musique de Puccini, jusqu'au final valorisant une bonté fondamentale par une certaine discrétion des formes, Ainsi, sans en rajouter sur l´inversement convaincante Bohème de l'Opéra Bastille – proposition baudrucharde de mise en scène [lire notre chronique du 1er décembre 2017] –, disons simplement qu'à Berlin, le travail bien de Götz Friedrich (1930-2000) en impose toujours, et avec classe [lire nos chroniques du fliegende Holländer, de Rheingold, Die Walküre, Siegfried et Götterdämmerung].

FC