Chroniques

par bertrand bolognesi

La flûte d’Arlequin
musique de Georg Philipp Telemann – chorégraphie d’Hubert Hazebroucq

Festival Terpsichore / Salle Érard, Paris
- 15 septembre 2017
Le danseur Hubert Hazebroucq et le flûtiste Julien Martin jouent Telemann
© régis d'audeville

Aujourd’hui débute la quatrième édition du Festival Terpsichore qui, jusqu’au 12 octobre, accueillera les amateurs du répertoire baroque dans divers lieux parisiens (Église Saint-Thomas d’Aquin, Temple de Pentemont et Salle Érard). Tandis que seront jouées des pages de Bach, Buonamente, Byrd, Fontana, Frescobaldi, Gabrieli, Marenzo, Marini, Monteverdi, Rosenmüller et Rossi, les deux soirées qui encadrent ce menu principalement dévolu aux violes sont consacrées à la musique de Georg Philipp Telemann, dont on célèbre cette année le deux-cent cinquantième anniversaire de la disparition. Ainsi le fastueux concert de clôture, où le contreténor Damien Guillon [lire nos chroniques du 4 mai 2016 et du 13 novembre 2014] chantera deux cantates du maître de Hambourg en compagnie de l’ensemble Masque dirigé par Olivier Fortin, se trouve-t-il annoncé dès maintenant par ses Douze Fantaisies pour flûte sans basse, un recueil édité vers 1732.

Au danseur et chorégraphe Hubert Hazebroucq, l’idée d’un jour concevoir un projet sur cette incroyable somme que sont les Fantaisies, grâce à laquelle l’instrumentiste explore tout ce qu’un bon flûtiste du XVIIIe siècle, en pleine possession de sa technique, devait pouvoir rendre en expressivité, vint il y a plusieurs années déjà. Des idées, les artistes n’en manquent pas, et toutes ne génèrent pas forcément un spectacle. Au fil du temps, des rencontres et des occasions tissées par celui-ci et celles-là, certaines aboutissent. Ainsi s’est finalement accompli le vœu d’Hubert Hazebroucq qui, dans le cadre du Festival Itinéraires baroques en Périgord Vert, présentait en juillet dernier La flûte d’Arlequin.

Que vient faire le fameux histrion farceur de la commedia dell’arte dans l’affaire ? C’est qu’à l’instar des Suite pour violoncelle de Bach, les Fantaisies, toute sérieuses qu’elles soient, déclinent la danse, dans des mouvements explicites ou dans des inflexions qui n’en avouent pas toujours la parentèle. Cela n’a pas échappé au chorégraphe qui, profitant de la convergence des styles noble, induit par la façon française, et comique, offert par l’italienne, a élu l’habile Arlequin, capable de faire illusion dans tous les rôles, déjouant tant l’identité sociale que le genre et les âges, comme moteur d’une rêverie dansée – pour ne pas dire fantaisie, au fond – qui contracte en son déroulé rien qu’une année de douze mois.

Sur un siège, le flûtiste Julien Martin annonce la Fantasia I et précise l’indication de ses deux mouvements, Vivace puis Allegro. Ainsi procèdera-t-il jusqu’à la fin, avec un flegme imperturbable à l’ombre souriante, un rien goguenarde, peut-être. Loin de demeurer en distance absolue de la dimension scénique, le musicien y est intégré par la vêture, que signe Marielle Viallard, et la présence, puisque de sporadiques moments de jeu ne dédaignent pas d’animer l’échange. On admire le rebond du flûtiste qui paraît pouvoir dialoguer avec lui-même dans ces pages inventives. Le choix de les donner sur flûtes à bec (soprano, ténor et alto) plutôt que sur traverso apporte une riche variété de timbres qui souligne avec avantage l’intérêt de l’œuvre.

D’abord dissimulé derrière une mante pourpre, le danseur apparaît bientôt, masqué non sans quelque savoureuse exubérance (Marie-Astrid Adam). Montre-t-il ensuite son visage, lorsqu’il renonce au leurre ? Non, puisqu’il porte un autre masque, sorte de seconde peau l’isolant symboliquement des successives incarnations. Avec les quatre mouvements de la Fantasia II apparaissent plusieurs caractères de la commedia, oscillant, à la faveur du carnaval (février), entre digne assise et franche bouffonnerie. À la fin de cette section survient la première interaction, un brin maligne, entre les deux interprètes. Mars est le mois de la guerre : une grotesque figure de matamore hante la Fantasia III. La suivante commence dans une nudité calme qui en laisse apprécier l’effort polyphonique et ornemental. La vient conclure une brève pantomime doublée. Trois blancs lys en main, un visage juvénile entouré de fleurs traverse le pastoral mois de mai. Le printemps s’achève dans une mélancolique touffeur, avec le Dolce initial de la Fantasia VI. Le déclin de l’année est engagé par le prétentiard Alla francese de juillet (Fantasia VII) au fat panache, assez vite tourné en dérision, bien sûr (Presto). Que faire en août ? Dormir !... et ainsi de suite des mois suivants dont cette chronique ne révèlera pas les épices, volontiers inquiétantes lors des grandes marées et des tempêtes de solstice, jusqu’à la fascinante fusion d’une Nativité païenne dans les tourments du vieil hiver.

BB