Chroniques

par nicolas munck

la folle journée du Quatuor Béla
John Adams, George Crumb, Ervín Šulhov

La Folle Journée / Cité des congrès, Nantes
- 4 février 2017
À La Folle Journée de Nantes, le Quatuor Béla joue Adams, Crumb et Šulhov
© jean-louis fernandez

Après une vingt-deuxième édition sous le signe de la nature et des éléments, La Folle Journée nantaise fait la part belle à la danse et ses multiples connexions avec la musique. Le rythme des peuples (terme choisi par René Martin pour ce nouveau volet) se décline selon deux thématiques principales : Les formes de danses et La danse dans les musiques des XIXe, XXe et XXIe siècles (musique de ballet, orchestrale, de chambre, vocale, sacrée, etc.). Par souci d’ouverture ou d’équilibre esthétique, la programmation oscille entre répertoire ancien, classicisme, romantisme, modernité et contemporanéité sans oublier l’impact de l’art traditionnel, l’influence du jazz et l’improvisation.

À l’heure de la morosité des politiques culturelles et d’une vitalité en berne de la vie festivalière, la bonne forme et le succès populaire du concept Folle Journée – qui continue à se décliner jusqu’à Ekaterinbourg – n’est plus à prouver et les chiffres donnent le tournis. Pour ce cru 2017 sous haute sécurité, deux cent quatre-vingt-douze concerts payants à Nantes, seize dans les communes de la métropole, soixante concerts hors les murs, sans compter près de cinquante concerts gratuits, ont été proposés et près de cent quarante mille billets ont été vendus (sur cent quarante-huit mille cinq cents disponibles). Notons enfin l’effort, certes lissé, dans la politique tarifaire avec la mise en place de concerts scolaires à quatre euros. Néanmoins, regrettons que le nombre de conférences ait été réduit et qu’elles ne présentent plus de liens directs avec la programmation. Dans la mesure où les brochures de salle sont maigres (simple listing des œuvres et biographies des interprètes qui sentent souvent Wikipédia !), les conférences constitueraient un éclairage indispensable et une pause souvent appréciée dans un marathon de concerts.

De ce menu abondant, parfois touffu et où les mises en relation avec la danse sont quelquefois difficilement perceptibles, nous donnons la préférence aux petites salles et au quatuor à cordes. Sur les sept formations conviées, nous suivons les prestations des quatuors Béla, Danel et Modigliani.

Samedi 4 février, 11h. Nous transperçons les studios éphémères de la Grande Halle pour nous rendre Salle Marie Sallé (chorégraphe, danseuse et maître de ballet du XVIIIe siècle). Nous y retrouvons les Béla pour une pertinente proposition entre XXe et XXIe siècles. Elle s’ouvre par les Cinq pièces pour quatuor à cordes, aux accents chorégraphiques, d’Ervín Šulhov (Erwin Schulhoff, 1894-1942). Compositeur et pianiste tchèque, dont la musique est par malheur peu donnée à entendre, Šulhov fait partie des créateurs en plein cœur de la tourmente, broyés par la montée du nazisme. Ses cinq pièces, composées en 1923 et dédiée à Darius Milhaud, se déclinent sous la forme d’une suite de danses : Alla Viennese, Alla Serenata, Alla Czeca, Alla Tango milonga et Alla tarante [lire notre critique des gravures des quatuors Aviv et Vogler]. La force rythmique décoiffante, qui fait parfois songer à l’écriture bartókienne, et les dissonances inquiétantes conviennent parfaitement à la sonorité des Béla [lire notre chronique du 8 juillet 2013]. Les caractères marqués et contrastés de cette suite chorégraphiée sont rendus avec beaucoup d’intelligence et de lisibilité dans un son toujours généreux et équilibré.

Du rythme avant toute chose. Telle pourrait être la devise du deuxième mouvement du Quatuor à cordes n°1 (2008-2009) du minimaliste John Adams dans lequel boucles et constructions polyrythmiques règnent en maître. Les interprètes se font plus incisifs et rendent parfaitement audibles les étapes de construction de ce mouvement et ses oppositions métriques. L’acoustique de la salle sert la prestation par une relative sécheresse qui va dans le sens de la clarté.

Le programme se termine sous forme de rituel quasi mystique avec Black angels (Anges noirs) du charlestonien George Crumb. Composée en 1970 pour quatuor à cordes électrifié, cette œuvre, qui fait appel à un instrumentarium peu conventionnel (verres accordés, gongs, maracas, etc.), puise ses racines dans la guerre du Vietnam. En plus d’une forte dimension symbolique et du recours à la numérologie dans l’organisation du discours (structuration en treize sections et références permanentes au chiffre sept), l’opus joue également sur l’impact mémoriel par des citations et allusions : extrait de Der Tod und das Mädchen (Schubert, 1824), Sarabande, références au Dies iræ grégorien et au trillodi diavolo d’après Tartini. Par un subtil alliage de modes et techniques de jeu, Blacks angels fait aussi appel à la tradition asiatique, relayée par des harmoniques de gongs. Le Quatuor Béla relève avec brio le défi de ces treize images des pays sombres en maintenant une tension constante et une dramaturgie à fleur d’archets. Seul petit hic : bien que claire, la sonorisation semble trop généreuse et réverbérée au regard de l’espace concerné ; en résulte parfois un sentiment d’éloignement acoustique ou de surimpression de certains effets.

De cette belle prestation, soulignons enfin la justesse des courtes présentations des œuvres par les musiciens. Un souci de médiation manifestement apprécié par l’auditoire. To be continued

NM