Chroniques

par bruno serrou

la non-rencontre avec Bohuslav Martinů
Orchestre de Paris, Paavo Järvi et Radu Lupu

Salle Pleyel, Paris
- 2 juin 2010
© dr

Radu Lupu est un immense pianiste. L'Orchestre de Paris est indubitablement en excellente forme, en ce moment. Paavo Järvi est très attendu comme directeur musical de la phalange parisienne… Pourtant, l'alliage n'a pas pris, ce soir, entre les trois entités. Curieusement, Lupu était dans un concerto que Schubert n’a pas écrit, en lieu et place du Concerto « l’Empereur » de Beethoven, tandis que l'orchestre investissait sa propre partition. Ceux qui étaient aussi, voilà cinq semaines dans cette même salle, avaient encore tout chaud à l’esprit une exécution autrement plus enthousiasmante de Nicholas Angelich, qui remplaçait pourtant au pied levé Hélène Grimaud, dans un véritable dialogue avec l’Orchestre Symphonique de la Radio Suédoise dirigé par Daniel Harding [lire notre chronique du 27 avril 2010]. Doué d’une technique imparable qui ne le met cependant pas à l’abri de petits accrocs, le pianiste roumain exalte de son instrument des sonorités épanouies et grasses suscitant des graves dodus et des aigus aux riches harmoniques, mais il tire trop vers une douce mélancolie, là où il faudrait une force adaptée à la plénitude conquérante du Titan de Bonn. Paavo Järvi a semblé se perdre dans les options de son soliste, laissant étonnamment son orchestre en retrait pour rester sur son quant-à-soi et jouer ainsi sa partie le plus discrètement possible. Tant et si bien que l’auditeur se surprenait à décrocher d’une œuvre dont il connaît pourtant le moindre recoin. La page de Schumann que Lupu a donnée en bis a été neutre et sans saveur, le pianiste paraissant ainsi répondre de mauvaise grâce aux sollicitations de ses auditeurs.

La première œuvre du programme, Fresques de Piero della Francesca de Bohuslav Martinů, était aussi attendue et a autant déçu que le concerto. Créé au Festival de Salzbourg 1956 par l’Orchestre Philharmonique de Vienne dirigé par Rafael Kubelik, compatriote du compositeur comme lui exilé, ce triptyque alternant mouvements vif-lent-vif célèbre La Légende de la vraie Croix du peintre médiéval toscan que Bohuslav Martinů a pu admirer à Arezzo en 1954. Le compositeur s’inspire plus particulièrement ici de la Rencontre de la reine de Saba et du roi Salomon et du Rêve de l’empereur Constantin, privilégiant ainsi l’onirisme, le brio, la luxuriance. Pour l’entrée de cette partition à son répertoire, l’Orchestre de Paris a donné une interprétation circonstanciée, fort loin de se l’accaparer. Paavo Järvi n’a pas fait sienne la riche palette du peintre, ne restituant pas les rutilances des couleurs de ce maître de la lumière et de la perspective qu’est Piero della Francesca, les fresques illustrées par Martinů à sept siècles de distance restant hier soir plates et vides de sens. L’interprétation éclatée du chef estonien n’a suscité aucune progression dramatique ni polychromie définie. Tant et si bien que ce chef-d’œuvre sera assurément demeuré étranger au public de l’Orchestre de Paris, qui, dans sa majorité, n’aura rien pu trouver de capital dans ces pages pourtant denses et puissantes.

La Symphonie n°9 « Du nouveau monde » d’Antonín Dvořák se sera finalement imposée comme le clou de la soirée. L’Orchestre de Paris, qui l’a si souvent jouée, sous la direction des plus grands, de Kubelik à Böhm, et de ses propres directeurs musicaux, s’est investi sans réserves tant le plaisir a été communicatif dans la lecture lumineuse, généreuse, dynamique, gorgée de tendre poésie de son directeur désigné, concluant ainsi le concert sur une note d’optimisme.

BS