Chroniques

par hervé könig

La traviata | La dévoyée
opéra de Giuseppe Verdi

Chorégies d’Orange / Théâtre antique
- 3 août 2016
une nouvelle Traviata (Verdi) à Orange, signée Louis Désiré
© philippe gromelle

Ce n’est guère satisfait qu’on quitte les vieilles pierres romaines. Avec une distribution vocale très inégale, une prestation chorale moyenne et une mise en scène à l’avenant, les Chorégies d’Orange ont offert une Traviata des mauvais jours. La baguette parvient néanmoins à relever le niveau. Annoncée de longue date, Diana Damrau devait chanter ici le rôle de Violetta qu’elle avait plutôt bien tenu à La Scala [lire notre chronique du 15 décembre 2013]. Mais elle dut déclarer forfait, remplacée par l’étonnante Ermonela Jaho dont notre média fit volontiers l’éloge [lire nos chroniques du 29 janvier 2016, du 12 octobre 2010 et du 22 novembre 2009, entre autres]. Le ravissant soprano albanais sauve donc le projet, et on lui en sait gré, mais pas toujours sans souci. D’abord un peu basse, l’intonation hésite près d’une vingtaine de minutes avant de se stabiliser. Mais l’incarnation est tellement engagée qu’on lui pardonne avec plaisir quelques contre-ré bémol avortés.

Francesco Meli possède indiscutablement tout ce qu’il faut à un ténor pour faire un bon Alfredo. Le timbre est onctueux, l’intonation jamais prise en faute, la présence scénique charismatique, tout comme le soin des nuances témoigne d’une belle sensibilité artistique. Mais… mais il y a un mais : pourquoi égarer son émission en un portamento incessant quand un chant simple, direct, hisserait l’interprète au sommet ? C’est vraiment dommage. Le plus difficile à digérer est encore Germont père : incontestablement Plácido Domingo pourrait encore faire illusion en baryton forcé lors de sa première intervention, mais dès alors toutes ses cartouches sont brûlées. Les deux autres moments du rôle sont impossibles. Bien sûr, cela n’empêche pas le public de l’acclamer, peut-être au nom de sa belle carrière, comme il acclame les airs les plus imparfaitement donnés et les plus superbement chantés, indifféremment – il applaudit son plaisir d’être là.

C’est dans les rôles secondaires qu’on trouvera de quoi flatter l’oreille. À l’exclusion d’Anne-Marguerite Werster dans son Annina éteinte, tous font honneur à l’ouvrage de Verdi. Il faut applaudir le Gaston de Christophe Berry, Laurent Alvaro superlatif en Douphol, et même le jeune Rémy Mathieu pour son Giuseppe au timbre clair. L’Opéra de Marseille, Angers-Nantes-Opéra et Opéra Grand Avignon associent leur chœur pour l’occasion, ce qui favorise une masse chorale puissante. Pourtant, au delà du fameux chœur des Bohémiennes laissant constater que les dames se portent musicalement mieux que les messieurs, de trop nombreux décalages rythmiques, faux départs et, surtout, hauteurs approximatives déconseillent à les écouter trop attentivement.

Il paraît difficile d’encombrer l’immense plateau du Théâtre antique. Avec le talent qu’on lui connaît, Louis Désiré y parvient, secondé par le scénographe Diego Méndez Casariego. Jouant un peu avec l’existence des ruines auxquelles une fissure dans un mur surnuméraire en fond de scène vient en ajouter, le dispositif est surtout centré sur un catafalque de camélias côté cour et un immense écran en plan large. Deux lustres monumentaux délimitent l’espace qu’ils définissent comme celui de l’incessante fête de l’héroïne, celui d’un milieu bourgeois et noceur pourtant moraliste. Et ? Un énorme arbre vert vient symboliser l’amour heureux sur cette toile, des couples dansant accompagnent l’évolution de l’intrigue, enfin une grande roue évoque le carnaval parisien. Quant aux situations dramatiques, leur dynamique repose sur le métier des chanteurs mais en aucun cas sur des options de mise en scène, encore moins de direction d’acteur. Il en résulte une assez mauvaise soirée de mime.

Tout ne peut pas être si noir ! En effet, l’Orchestre national Bordeaux-Aquitaine se surpasse, tout au bonheur de répondre à l’énergique inflexion de Daniele Rustioni, un chef passionnant qui a presque tout compris de cette musique (le reste lui viendra avec le temps). Sans finasser, il impose à son interprétation un dessin subtil qui dédaigne de s’écouter trop, tout à l’action et au sentiment. Voilà un artiste qu’il faut suivre de près !

HK