Chroniques

par monique parmentier

La Vénitienne, comédie lyrique d’Antoine Dauvergne
Les Agrémens dirigés par Guy van Waas

Opéra Royal, Château de Versailles
- 8 novembre 2011
Guy van Waas, chef de l'ensemble baroque Les Agrémens
© dr

Le Centre de Musique Baroque de Versailles (CMBV) consacre ses Grandes Journées d’automne à un illustre inconnu, Antoine Dauvergne [lire notre Dossier]. Ainsi demeure-t-il fidèle à l’une de ses missions, la redécouverte du répertoire français baroque, au sens le plus large du terme car avec Dauvergne, c’est plutôt le classicisme qui est à l’honneur.

De ce violoniste virtuose, célébré en son époque, maître de musique de la Chambre du Roi, directeur du Concert Spirituel et de l’Académie royale, compositeur enfin, rien ou presque n’était parvenu jusqu’au public du XXIe siècle. Tombé dans l’oubli, Dauvergne méritait notre attention pour son rôle de découvreur de talent, à l’écoute de son temps, comme le démontra le programme récemment donné par le Concert Spirituel [lire notre chronique du 4 octobre 2011]. Ce soir, en revanche, malgré toute la virtuosité des interprètes et les moyens mis en œuvre, il nous est resté hermétique.

La Vénitienne est le fruit d’un genre nouveau qui se construit et ne connaîtra ses heures de gloire qu’un peu plus tard sous la forme de l’opéra-comique. Composé en 1768 sur un livret signé Antoine Houdar de La Motte, il fut mis en musique une première fois en 1705, sans succès ; à Dauvergne, dont il devait être le dernier ouvrage lyrique, il fit également connaître un four complet. Sa banale histoire d’amour (qui finit bien), avec quiproquos et travestissements, inscrivait cette Vénitienne dans le goût pour l’exotisme qu’évoquait la Sérénissime en France au XVIIIe siècle. En fait cette dernière n’est citée que dans quelques didascalies et dans les danses qui ponctuent la partition. Le ton de l’œuvre est léger, comique, charmant. À l’issue de la soirée, cette page laisse un sentiment diffus d’ennui poli, le sentiment d’une œuvre lisse qui passe agréablement le temps, à l’image d’une époque où, afin d’oublier les menaces qui pesaient, le public ne voulait surtout pas renoncer à s’enivrer de fêtes permanentes. Comme nous le savons, tout cela devait mal finir...

En tout cas, reconnaissons le mérite des interprètes qui font tout pour redonner un peu de lustre à cette pièce mineure du malheureux Dauvergne. N’était-il pas lucide, lui qui, au vu du talent des contemporains qu’il programmait régulièrement, avait renoncé à composer? La distribution vocale est de grande qualité. Certains chanteurs jouent le jeu, se travestissent pour tenter de donner plus de corps à leurs personnages. Chez les hommes, Alain Buet est un Zerbin (le serviteur) drôle et tendre. Mathias Vidal, au phrasé délicat et élégant, est un Octave séduisant (l’amoureux). Dans le rôle des deux amies dont Octave est épris, on retrouve Katia Vellétaz, Léonore touchante (celle que cherche à séduire Octave) au timbre d’une fort jolie clarté, tandis que Chantal Santon fait preuve de panache et d’énergie dans le rôle d’Isabelle (l’amante trompée qui triomphera de l’infidélité de son amant). Son très beau phrasé, son timbre sensuel, sont autant d’atouts qui crédibilisent le rôle – signalons qu’elle remplace Bénédicte Tauran, initialement annoncée. Si la brève servante Spinette de Kareen Durand est des plus charmantes, l’Isménide d’Isabelle Cals est probablement la plus décevante de la soirée : alors qu’elle pourrait mettre un peu de piment dans l’œuvre, cette magicienne est interprétée de manière distante, trop académique.

Sous la direction précise et enjouée de Guy van Waas [photo], Les Agrémens apportent des couleurs et des nuances raffinées qui offrent à cette Vénitienne l’aspect d’un joli pastel. Si la partie chorale est plutôt limitée, dans chacune de ses interventions, le Chœur de chambre de Namur se montre tel qu’on le connaît : professionnel.

À l’issue de cette agréable soirée, dans l’une des plus belles salles de France, le public, ravi, fait fête à des interprètes dont le mérite aura été, malgré la faiblesse de l’œuvre, de lui faire passer une assez belle soirée. Grâce à eux et au CMBV, Antoine Dauvergne est d’autant plus tiré de l’oubli que ce concert sera retransmis sur France Musique et fera l’objet d’un CD pour le label Ricercar. Chacun pourra juger alors si La Vénitienne mérite de sortir de l’ombre ou d’y retourner.

MP