Chroniques

par françois cavaillès

le voyage d’automne de John Eliot Gardiner
Claudio Monterverdi | Orfeo, favola in musica

Galerie des Glaces, Château de Versailles
- 9 novembre 2015
John Eliot Gardiner joue l'Orfeo de Monteverdi à la Galerie des Glaces
© sim canetty clarke

Quintessence de l'opéra, certes présenté en version de concert mais dans le cadre fabuleux de la Galerie des Glaces, Orfeo de Monteverdi est l'expérience magique offrant au spectateur, plus de quatre siècles après sa création à Mantoue, de remettre à neuf ses propres conceptions du lyrisme et de l'humanisme. Pour boucler son Voyage d'automne à Versailles (série de trois programmes donnée en trois salles différentes du château au fil d'un mois), John Eliot Gardiner dirige le Monteverdi Choir et les English Baroque Soloists. De l'initiale « toccata-pétarade » bien relevée jusqu'à la mauresque finale non moins éclatante, orchestre et chœur ravissent l'assemblée, très nombreuse, assise en rangs serrés, dans le courant d'une nuit de novembre particulièrement chaude.

Comme on pouvait s'y attendre, l'un des sommets de la soirée est bien l'entrée d'Orphée aux enfers. Plus touchante encore que le célèbre chant si pur du héros bravant les mauvais esprits, la musique suivant immédiatement fait la plus forte impression, visuelle alors, en dépeignant un monde merveilleux traversé d'échos surnaturels, quelques fragiles ondes hallucinantes, comme autant de rides sur le Styx. Mais davantage encore, sans négliger les superbes élans du héros dans cette scène, il apparaît vraiment fantastique de sentir se creuser à la fois le malaise du personnage et la subtilité de la création musicale. Ici réside peut-être le caractère enchanteur de l'œuvre au delà des prouesses lyriques et des indéniables charmes vocaux déployés dès le prologue. En effet, par la grâce de la poésie de l'immense librettiste Alessandro Striggio, le don d'un chant aux atours divins et une délicatesse à faire fondre les cœurs, le jeune soprano Francesca Aspromonte (incarnation de la Musique) se montre lyrique à souhait. De l'art pariétal, parcourant les Grands Appartements du château, de laisser sonner le vers couché sur le papier depuis 1607... Infimes, précieuses paroles révélées dans le monument démesuré par la chanteuse galante dont la soie de la robe épouse à merveille le rouge à lèvres... Quels effets !

Entrée toute aussi réussie pour le ténor Krystian Adam, admirable Orfeo, emporté et frémissant, puis assez enflammé pour Vi ricorda, o boschi ombrosi bien soutenu par la finesse des cordes et par les mains battantes du chœur [lire notre critique du CD de La finta giardiniera]. Son long récitatif plein de pitié à l'Acte V semble puiser fort justement dans les grandes intentions originales supposées de l'œuvre, à savoir l'humanisme et la défense de la dignité de la vie. Dans une robe éblouissante, toute d'or pailletée, le soprano Mariana Flores compose une Eurydice expressive, tour à tour languissante et espiègle, d'une grande beauté classique [lire nos chronique du 25 janvier 2015, du 1er février 2012 et du 10 octobre 2008]. De même, dans un déploiement plus gracieux encore, le soprano Francesca Boncompagni impressionne dans un registre presque opératique, en Proserpine. Enfin, la basse Gianluca Buratto vaut d'être citée pour les deux personnages qu'il habite également avec talent et autorité : Pluton et Charon [lire nos chroniques du 17 janvier 2014 et du 16 août 2012]. Ainsi restera cet Orfeo versaillais, pour le plaisir et surtout la grande émancipation inhérente à cette œuvre lorsqu’elle est bien donnée.

FC