Chroniques

par françois cavaillès

Les éléments
Michel-Richard Delalande et André Cardinal Destouches

Les Surprises, Louis-Noël Bestion de Camboulas
Festival d’Ambronay / Église Saint-Symphorien, Ambérieu-en-Bugey
- 28 septembre 2016

L'une des originalités de cette nouvelle soirée réussie au Festival d'Ambronay tient à l'œuvre présentée. Créé au Palais des Tuileries en 1721 pour faire danser le jeune Louis XV, Les éléments est un opéra-ballet composé à quatre mains par Michel-Richard Delalande (1657-1726) et André Cardinal Destouches (1672-1749), pourtant le plus souvent attribué à ce dernier, élève du premier mais d'abord musicien autodidacte, en plus d'avoir été grand voyageur jusqu'au Siam (en mission pour Louis XIV) puis mousquetaire...

Au cours d'une vie rocambolesque, l'inspiration coule comme d'une cascade, avec notamment Le carnaval et la folie (1703), incroyable comédie en musique, la première jamais représentée en France et puisée en partie dans Éloge de la folie d'Érasme (texte écrit en 1509, en latin, tout comme son célèbre pendant anglais Utopia de Thomas More dont on fête aujourd'hui les cinq cents ans de la parution).

Cette rareté bien de son temps convoque les dieux au prologue, puis raconte une brève intrigue relative à chacun des quatre éléments. Elle fit l'objet d'un disque paru aux éditions d'Ambronay au printemps dernier, signé par le jeune ensemble d'origine lyonnaise Les Surprises. Son directeur musical et claveciniste, Louis-Noël Bestion de Camboulas, aime à rappeler, dans la savoureuse mise en oreilles juste avant l'entame avec les musiciens, comment Les éléments ont reçu l’approbation du roi puis, surtout, celle du public, pour rester à l'affiche durant la majeure partie du XVIIIe siècle.

L'autre particularité du concert, en la charmante petite église, bien bondée, d'Ambérieu-en-Bugey, consiste en la formule choisie pour représenter ce divertissement. À l'inverse du pléthorique effectif royal, Les Surprises en font un opéra de salon, se déroulant en un peu plus d'une heure. La version réduite parvient à multiplier le plaisir et le bon goût tirés de l'ouvrage. Le petit orchestre composé de solistes conduit à travers le Prologue intitulé Le chaos dans un univers musical varié, de la fugue menée par les violons dans l'Ouverture à la française jusqu'aux premiers airs et aux menuets magnifiés par les flûtes et les percussions. Au premier conte, L'eau, l'orchestration fait merveille pour dépeindre une tempête, l'apparition de Neptune et de fabuleux airs rapides, très dansants, pour les néréides, puis les divinités. La formation devient troubadour, avec parfois un humour délicieux, et boucle les récits dans un plaisir contagieux.

Cet art de la transposition est même encore plus intéressant lors de la brève parenthèse Händel ouverte au beau milieu des Éléments et qui propulse avec habileté quelques danses extraites de Water Music (musique composée pour accompagner la barge royale anglaise, en juillet 1717).

Les voix séduisent de plus en plus, à mesure que l'ouvrage tend vers l'opéra proprement dit. Le soprano Hasnaa Bennani maîtrise tout particulièrement les aigus dans le chant sublime d'Émilie, amoureuse paniquée à l'épreuve du drame le plus vif, Le feu. Le timbre cuivré du baryton Étienne Bazola s'embellit depuis les sobres commentaires du Destin au Prologue jusqu'à l'air du Berger tiré d'Amadis de Grèce de Destouches, pour La terre (quatrième et dernière entrée). De même, le soprano Eugénie Lefebvre trouve les plus beaux accents et les souffles merveilleux pour élever un livret bien plat aux cimes de l'émotion. Les trois chanteurs remportent aussi un franc succès dans les chœurs, tantôt virevoltant et harmonieux en contrepoint (« Paix adorable... »), tantôt concis (sous l'orage), ensuite aussi puissants que comiques (« Nous périssons, Ciel, ô Ciel équitable ! » craignent les matelots), puis en fusion par la force miraculeuse de Neptune.

Traversée d'un joyeux élan symphonique, mais aussi de la lourde tristesse d'un rêve brisé, la chaconne finale referme avec brio une expérience lyrique singulière, agréable et enrichissante. Et les ultimes notes, au léger charme celtique, d'intriguer les mélomanes tous envoûtés... Quels trésors baroques nous réserve l'heureux avenir des Surprises !

FC