Chroniques

par bertrand bolognesi

les gemmes d’Aldo Ciccolini

Festival de Radio France et de Montpellier / Corum
- 26 juillet 2009

Un récital d’Aldo Ciccolini est désormais une tradition du festival montpelliérain. Ce soir, bien que souffrant, le grand pianiste n’annule pas, adaptant à peine le programme annoncé – les Embryons desséchés de Satie n’y sont plus et les Pièces pittoresques de Chabrier sont remplacée par le Livre II de Préludes de Debussy – et refusant prudemment la retransmission en direct par France Musique initialement prévue.

Il ouvre la soirée par la Sonate en fa majeur KV.331 « alla turca » de Mozart dans une infinie tendresse, remarquablement joueuse (Andante grazioso e variazioni), se faisant plus fermement beethovénien dans le Menuetto central et livrant finalement une Marche turque délicate, enlevée et sans blabla. Tout, ici, est raffinement extrême : la frappe, l’articulation, la nuance (n’accusant jamais de contraste appuyé, tout en équilibre précieux), la conception, etc.

Aldo Ciccolini ouvrage discrètement mais sûrement la dentelle ornementale de l’Allegro introductif de la Sonate en la majeur KV.333 dont il cisèle l’Andante cantabile dans un ingénieux halo schubertien, d’une pudique mélancolie. Le dernier mouvement ravit l’écoute.

Sans rodomontade, la virtuosité des œuvres choisies trace un chemin difficile dignement assumé, comme en témoignent la seconde série de Préludes de Debussy. La fragile intimité voulue par le compositeur est bien au rendez-vous, dès Brouillards. On joue son piano chez soi, seul, éventuellement pour une personne chère, et non devant une foule d’inconnus dans une salle qui induit le spectaculaire. De fait, c’est chez lui que Ciccolini nous fait deviner par le chas de lumière d’une porte volontairement laissée entrouverte, tant l’expression est tout intériorité.

Aux précieuses demi-teintes de Feuilles mortes succèdent la saine sécheresse de La puerta del vino, l’indicible fluidité de Les fées sont d’exquises danseuses, l’inflexion faussement indolente à la mélancolie molle de Bruyères. Une ironie mordante signe son General Lavine tandis que d’énigmatiques équilibres peignent La terrasse des audiences du clair de lune en un grand mystère. Quel relief, soudain, pour Ondine ! De même la palette expressive s’avère-t-elle inépuisable, grâce à de multiples qualités de frappe, dans Hommage à S. Pickwick. Après la troublante inertie de Canope, Les tierces alternées s’enchainent en un flou des plus savants.

Si Feux d’artifice, le dernier prélude, est un peu malmené par la fatigue, Aldo Ciccolini surprend en offrant, de pied ferme, trois bis qui empruntent à Chopin, Albéniz et Scarlatti. Quelle santé !

BB