Chroniques

par gilles charlassier

L'inganno felice | L’heureux stratagème
farsa in musica de Gioachino Rossini

Settimane musicali / Teatro Olimpico, Vicence
- 15 juin 2018
Au Teatro Olimpico de Vicence, opéra bouffe en un acte de Gioachino Rossini
© luigi de frenza

Initié l'an dernier avec La cambiale di matrimonio [lire notre chronique du 2 juin 2017], le cycle des cinqfarse de jeunesse de Rossini, présentées à Vicence selon le plan quinquennal de Giovanni Battista Rigon et les Settimane musicali al Teatro Olimpico, se poursuit avec L'inganno felice, premier grand succès du maître de Pesaro, dont Stendhal a salué le génie précoce, matrice des opus ultérieurs. Le livret de Giuseppe Maria Foppa s'appuie sur les traditionnels stratagèmes de l'amour et de la vengeance : essuyant le refus d'Isabella, la femme du duc Bertrando, dont il est un intime, Ormondo l'a fait jeter en mer par son serviteur Batone. Mais Tarabotto, qui travaille dans une mine du seigneur, recueille une femme qu'il fait passer pour sa nièce Nisa ; elle n'est autre que l'épouse recherchée par Bertrando. Le crime sera découvert et le malfaiteur finira châtié.

Les contraintes de la scène très réduite du Teatro Olimpico, dont la profondeur est occupée par le trompe-l’œil de Scamozzi, n'effraient pas l'imagination d'Alberto Triola. Doublant le couple ducal, deux figurants, Clelia Fumanelli et Libero Stelluti – la première assume également le réglage des mouvements chorégraphiques, le second assiste le metteur en scène –, miment les péripéties dramatiques et psychologiques de l'héroïne, enfermée au début dans une bulle, celle du rapt qu'elle a subi, tandis que Gianluca Bozzale, troisième acteur, incarne un mineur capé qui emportera le coupable loin des heureux amants.

Le dispositif meuble habilement la scénographie économe de Giuseppe Cosaro, lequel a dessiné avec Sara Marcucci des costumes théâtraux, sans céder à la réduction moderniste ni à l'encombrement pastiche, et rehaussés par le travail de Studio Vanity 2.0 pour le maquillage et d’autres appoints cosmétiques. Le plan incliné sert autant les dissimulations dramaturgiques que la topographie, le tout habillé avec un tact poétique par les lumières de Giuliano Almerighi, jouant du clair-obscur et d'épisodes intimistes.

La distribution vocale sollicite un plateau de jeunes talents.
En Isabella, Eleonora Bellocci affirme une séduisante fraîcheur, aérienne mais non sans saveur. Patrick Kabongo lui donne la réplique en duc au lyrisme clair doué d'une évidente maîtrise stylistique [lire notre chronique du 26 juin 2015]. Lorenzo Grante résume à loisir la noirceur frauduleuse d'Ormondo, secondé par la lâcheté épigone du Batone bien caractérisée par Sergio Foresti [lire nos chroniques des 22 juin et 15 novembre 2005, puis du 4 juillet 2009]. Quant à Daniele Caputo, il imprime à Tarabotto la sympathie communicative qu'on en attend.

Dans la fosse, Giovanni Battista Rigon impulse une délicieuse énergie à ses pupitres de l'Orchestra di Padova e del Veneto, animant les couleurs et les rythmes d'une partition dont il connaît les ressources et les secrets. On parie que Rossini et Stendhal auraient été aussi enthousiasmés que le public de 2018 : la musicalité authentique traverse les époques. Rendez-vous à Vicence en juin prochain pour l'épisode bouffe suivant !

GC