Chroniques

par laurent bergnach

L'opéra de la lune – Un petit rien-du-tout tout neuf [...]
spectacles de Denis Levaillant

Maison de Radio France – Théâtre du Rond-Point, Paris
- 30 mars 2006
deux spectacles de Denis Levaillant
© enki bilal

Alors que différents rendez-vous avec Kaija Saariaho ponctuent cette semaine (dont un débat-concert à l'Institut Finlandais et une première à Bastille, repoussée pour cause de fracture sociale), un de ses confrères, mine de rien, rencontre également son public. Pianiste et compositeur né à Paris en 1952, Denis Lavaillant présente aujourd'hui L'Opéra de la lune, une création mondiale à destination du jeune public. Cette œuvre d'environ trois quart d'heure, pour récitant et orchestre, s'inspire de l'un des quelques contes écrits par Jacques Prévert : paru en 1953, il met en scène Michel Morin, un petit garçon triste le jour, gai la nuit, qui n'a pas connu ses parents et vit chez des gens ni bons, ni mauvais, qui n'ont pas le temps de s'occuper de lui. Enfant rêveur, il raconte au voisinage incrédule tout ce qu'il voit sur notre satellite, et surtout, la visite que nous ont faite un jour ses habitants, repartis bien vite à cause du « bruit des machines à faire les ruines / des machines à faire la guerre / des machines à faire tuer les enfants de la terre ». Même – et surtout – s'il s'adresse à des petits, Prévert ne renonce pas à évoquer des choses douloureuses comme l'école, la différence ou la misère.

« J'ai été pianiste de jazz, confie Levaillant qui a connu par le passé des expériences d'improvisation, de traitement du son par ordinateur à l'INA-GRM, je pratique l'éclectisme, mais je crois que tout ce que je fais a ma propre couleur, quelle que soit la forme, quel que soit le style. Peu importe le flacon ! » Le critique échaudé craignait le cirque mais, alors qu'un accordéon de concert ouvre et ferme la partition – représentant Michel Morin, tout comme son papa imaginaire est un saxophone soprano, sa maman une clarinette, etc. –, on se retrouve avec un orchestre alla francese où les bois vont traditionnellement par deux, tout de couleur et de clarté. Jakub Hruša dirige l'Orchestre Philharmonique de Radio France avec beaucoup de moelleux, faisant alterner les passages contemplatifs, mélancoliques – comme la disparition du Ruisseau bleu – avec d'autres plus brillants (fanfare de cuivres, cymbales et caisse clair à l'appui) illustrant les spectacles des « petits rats d'opéra roux » ou des « moutons en blanc tutu de laine ». Pilier de l'œuvre, Michel Duchaussoy apporte une tendre espièglerie à son récit.

Depuis les années quatre-vingt, Levaillant multiple les collaborations avec des artistes de la danse et du théâtre, moyen pour lui de faire connaître la musique contemporaine à un public plus vaste.« L'impureté est une force », explique-t-il. Avec son titre évoquant une blague enfantine, Un petit rien-du-tout tout neuf plié dans une feuille de persil, à la Salle Tardieu du Rond-Point, nous ramène à l'univers quitté quelques heures plus tôt. En effet, Levaillant a adapté le dernier livre de son ami Maurice Laroche (1924-1997) – musicien puis journaliste avant de devenir une figure de la littérature expérimentale –, soit un monologue « drôle et touchant, profond et diabolique » de l'écrivain se remémorant l'enfant qu'il fut, entre un père ouvrier chez Michelin, une mère souvent à l'hôpital, la tante Justine, l'oncle Louis…

Le compositeur s'installe au piano, se déchausse puis joue un premier morceau qui se termine par des résonances accentuées par l'électronique. Dans ces échos remontent les souvenirs et, après avoir qu'il ait dit d'une voix posée les premiers mots du spectacle, Levaillant laisse place à Irina Dalle, vêtue en Colombine. « Se pencher sur son passé, au risque de tomber dedans ». Dans une mise en scène équilibrée de Caterina Gozzi, la comédienne ouvre un album photo géant, accroche des mots et des objets à des crochets suspendus, se protège de la pluie sous le piano, chasse son complice du clavier ou bien l'accompagne. Elle raconte avec énergie, imite ses protagonistes et chante parfois une vie d'antan entre Clermont-Ferrand et la campagne, soumise à la religion et au devoir patriotique, avec les cours de piano et la maladie, les animaux et les hommes qu'on abat. L'aisance de la comédienne rend même naturelles, sinon poétiques, les nombreuses allusions scatologiques. Hors des transitions de scènes, si l'accompagnement musical a souvent paru superflu, on serait bien resté plus longtemps dans cet univers aux émotions variées.

LB