Chroniques

par gilles charlassier

Louis-Noël Bestion de Camboulas dirige Les Surprises
Johann Sebastian Bach, Henry Desmarets, Philippe Hersant et Jean-Baptiste Lully

Rencontres musicales de Vézelay / Église Saint-Germain-d'Auxerre, Vault-de-Lugny
- 24 août 2019
l'ensemble Les Surprises et Louis-Noël Bestion de Camboulas à Vézelay
© dr

Les Rencontres musicales de Vézelay célèbrent leur vingtième anniversaire. La programmation concoctée par François Delagoutte, à la tête de la Cité de la voix depuis le printemps 2018, ne cherche pas pour autant à se complaire dans la commémoration. L’institution bourguignonne entend participer à la promotion de la nouvelle génération, ce dont témoigne le présent menu. Se distinguant par une remarquable fresque du XVIe siècle, restaurée en 2014, décomptant les stations du Christ, l’église Saint-Germain-d’Auxerre de Vault-de-Lugny, investie par le festival pour la première fois, accueille Les Surprises. Cette formation jeune et déjà bien inscrite dans le paysage musical met ici en regard les traditions françaises et germaniques, du baroque et du contemporain [lire nos chroniques du 28 septembre 2016 et du 16 septembre 2018].

Le panorama s’ouvre avec Dies Irae de Jean-Baptiste Lully. Sous la houlette de Louis-Noël Bestion de Camboulas, les effectifs choraux et instrumentaux déclinent, sans monotonie, un monochrome empreint d’une gravité sensible dès l’intervention augurale de la voix de taille, résonnant comme un avertissement pénitent. L’alternance de tutti et de séquences solistes, distribuées à l’ensemble des tessitures au fil de la pièce, fait valoir une belle collégialité, au service d’une extériorisation de la foi qui ne confond jamais caractérisation des strophes et spectacle. À la fois homogènes et pourvues de saveurs nourries, les textures orchestrales accompagnent et éclairent les inflexions textuelles avec un évident sens pictural, idiomatique du baroque français.

La cantate de Johann Sebastian Bach, Aus tiefer Not schrei ich zu Dir BWV 38 (Du fond de ma détresse je crie vers Toi) amène une légère modification de la configuration du plateau, détachant les interventions solistes au-devant de la scène, ce qui modèle ainsi une présentation plus dialectique, parfois risquée dans l’acoustique de la nef. Cette accentuation de la construction semble placer la ferveur luthérienne dans un équilibre également à distance de la solennité versaillaise et d’une italianité plus sulpicienne. Le choix des solistes ne néglige pas symbolique et archétypes, à l’instar de l’alto androgyne confié à Anaïs Bertrand, quand soprano et ténor font affleurer les émotions par la spontanéité de l’émission, face à une basse solide dans le terzetto.

Reprenant la même source que le maître germanique, le Psaume 130 de Philippe Hersant (1994) ne rompt pas la continuité logique de la soirée, au contraire. On reconnaît l’inspiration du Français, nourri du même terreau que son illustre prédécesseur, sans se confondre dans un exercice de style [lire notre chronique du 17 août 2019]. La présente lecture restitue un langage original qui plonge dans le passé à sa manière. Les aplats de la première strophe installent un recueillement que vient troubler l’invocation de la puissance divine, dans des diminutions rythmiques traduisant l’inquiétude devant le Jugement suprême et l’impatience d’une espérance déliée dans une extase diluant un peu une dynamique narrative jusqu’alors resserrée. La délicatesse d’une palette orchestrale très économe reconstitue ensuite l’efficacité d’une imagination musicale sensible, à la conjonction évocatrice du mot et d’harmonies jamais pastiches.

Le De Profundis d’Henry Desmarets fait appel à une authentique pâte dont les musiciens français magnifient les splendeurs, dans une filiation lullyste nullement servile. Chaînon dans l’évolution du grand motet à la fin du règne de Louis XIV, l’œuvre développe ainsi une succession de tableaux, dans un tropisme visuel évident destiné à impressionner oreille et sentiment. La précision de la ligne préserve la générosité sonore de tout mauvais aloi. Très Grand Siècle, la noblesse du propos est relayée par des voix tant au fait du style que les partenaires instrumentaux, avec un soupçon supplémentaire de sensibilité, sinon de sensualité par rapport à l’interprétation de la pièce de Lully – les vraisemblables vertus de l’investissement prosélyte de celui qui redécouvre des joyaux oubliés. En bis, un extrait de l’Historia de Jephte de Carissimi confirme les appétits décloisonnés du chef et des musiciens des Surprises.

GC