Chroniques

par nicolas munck

Luciano Berio, chemins de créations
Rocco de Cia, Denis Fargeton, Sam Perkin et Tommaso Ussardi

Invenzione Festival Berio / CNSMD de Lyon
- 3 décembre 2013
je jeune compositeur irlandais Sam Perkin, étudiant du CNSMD de Lyon
© dr

Prenant sans mal nos habitudes festivalières, nous voilà de nouveau confortablement installé en salle Varèse pour le second volet d’Invenzione Festival Berio. Pas d’électronique, ce soir, mais un hommage au maestro décliné via un programme qui donne la part belle à quatre jeunes compositeurs issus des départements de création musicale et de composition du CNSMD de Lyon et du Conservatorio di musica Giovan Battista Marinetti de Bologne, prestigieuse institution invitée. Ces Chemins de créations sont donc l’occasion de mettre en perspective les travaux de ces créateurs sous la protection du maître dont Chemins II sera donné en fin de concert.

Aux contours plus officiels qu’hier [lire notre chronique de la veille], ces Chemins de créations sont par ailleurs lancés par Géry Moutier (actuel directeur de la « maison ») qui investit le devant de la scène pour quelques mots introductifs. « Créer, c’est résister, résister c’est créer » : telle est la teneur de ce discours qui, sans alourdir les rudesses de la période, souligne l’importance, en ce contexte, d’échanges et de partages à l’international. Cette célébration du compositeur Luciano Berio, qui réunit sous une philosophie commune l’Institut Culturel Italien (MusiqueEurope/EUNIC) et ces deux conservatoires supérieurs, est un témoignage de cette nécessité (urgence ?).

Sans transition, basculons dans la matière musicale du Motor Cortex pour alto, violoncelle, harpe et percussion de l’Irlandais devenu Lyonnais d’adoption Sam Perkin [photo], actuel étudiant des classes d’écriture. Alternant, pour reprendre ses termes, « motif rythmique » (unisson ou dissonances), « motif harmonico-mélodique » et « éléments percussifs », cette courte pièce, à l’immédiateté faussement simpliste, se focalise avec beaucoup de netteté sur des paramètres fondamentaux (ligne, dynamique, registres, rythme, etc.). Une introduction « groovystiques » faite de percussions corporelles, impacts de talons, onomatopées et baguettes entrechoquées, laisse place à musique pulsée, qui respire et conserve une réelle facilité d’appréhension. Sans qu’il soit ici question de mettre sur la table nos goûts esthétiques, il est toutefois rassurant de constater que cette approche compositionnelle puisse trouver sa place au conservatoire. Quelle est la valeur de ce signe ? Autre débat !

« Ut, comme un chemin, comme une fin, comme une connexion entre la cause et l’effet » : c’est en ces termes que le compositeur bolognais Tommaso Ussardi présente Ut… pour alto, violoncelle, flûte, clarinette et trombone – effectif détonnant s’il en est. Cherchant les ruptures d’équilibre ou d’associations « usuelles » au sein de cette formation « baroque », l’Émilien joue en permanence sur cette tension de l’ut entre système naturel et tempéré. Exigeante, cette partition nécessite l’intervention d’un chef. Fabrice Pierre se charge de la coordination de l’ensemble constitué pour l’occasion d’étudiants lyonnais et bolognais. Efficacité et limpidité du geste sont encore de la partie dans cette création qui bénéficie d’un rendu d’une belle précision.

Avec Ringing with rose (vers tiré d’un poème d’Edward Estlin Cummings mis en musique par le compositeur célébré) pour harpe et deux percussions de Rocco de Cia, l’hommage à Berio se fait plus visible par une reprise de l’instrumentation (exception faite de la partie vocale) de Circles (1960). Dans sa note d’intention, le jeune musicien italien revient sur cette question d’hommage en insistant sur le fait qu’il n’a rien d’évident aujourd’hui. Il s’empresse d’ajouter que l’héritage de Berio serait surtout à voir comme un défi, un appel à la curiosité, à la fantaisie, à la liberté… La révérence de Ringing with rose n’a rien du pastiche. Nous en retenons essentiellement une écriture d’accords impacts, de riches combinaisons timbriques (relais blocks, glissandos sur les résonateurs du vibraphone, pulpe du doigt au bord de la timbale sur bisbigliando de harpe, etc.), mais formellement marquée. L’articulation entre les différentes sections passe parfois par un simple silence qui, non content de court-circuiter l’attention, rompt avec la continuité des procédés mis en œuvre. Le métier reste incontestable.

Passons à la création D’un antre l’autre pour flûte, clarinette, trombone et vibraphone de Denis Fargeton, qui attire l’attention par la recherche d’un « son mutuel » sur les différents instruments de l’effectif et par la réalisation d’effets cherchant à rompre les barrières d’une distinction trop marquée entre chaque entité. Si cette tentative de mise en relation est intéressante, probablement stimulante dans le travail et convaincante en terme d’instrumentation, elle tend malheureusement vers une certaine forme de systématisme non loin du catalogue d’effets et de possibilités.

Ce programme de cheminements est refermé par Chemins II (1967) de Berio. Dans cette œuvre pour alto et neuf instruments, tirée de la Sequenza VI (1967) pour alto seul, et qui enfantera Chemins III (1968) pour alto, neuf instruments et orchestre – nous ne sommes pas loin du concept joycien de work in progress –, le compositeur conserve la progression harmonique ascendante de la pièce génératrice (et l’idée de la bande de fréquences) dans un contexte instrumental densifié. À ce propos, il parle plus volontiers d’un « commentaire » de sa Sequenza plutôt que d’un glissement dans un nouveau contexte ou une simple métamorphose orchestrale. La partie soliste est réalisée par le jeune virtuose Emmanuel François, ancien soliste à l’Orchestre de l’Opéra de Marseille et lauréat de concours internationaux, qui parachève un projet de troisième cycle au CNSMD autour de pièces concertantes pour alto et ensemble (Martin, Françaix, Berg, etc.). Il offre un bel éclairage de Chemins II par un jeu sobre, d’une grande précision et d’un sérieux incontestable. La communication avec Fabrice Pierre, toujours à la tête de l’Atelier XX-21, est admirable.

NM