Chroniques

par bertrand bolognesi

Luigi Boccherini, un grand d’Espagne
Fabio Biondi et Europa Galante

Théâtre de la Ville, Paris
- 15 mars 2003
le chef d'orchestre et violoniste baroque Fabio Biondi par Michele Crosera
© michele crosera

Voilà une bonne dizaine d'années que Fabio Biondi et son Europa Galante se produisent régulièrement au Théâtre de la Ville, et toujours avec le même enthousiasme, un plaisir demeurant inchangé au partage d'un moment de musique. Cet après-midi, l’ensemble fête son anniversaire, dédiant en riant un bis à lui-même !

Fabio Biondi propose cette fois un concert monographique : c'est rendre un bel hommage à Luigi Boccherini, compositeur qui connut son heure de gloire et qu’ingratement le temps a oublié. Aujourd'hui l’on se représente mal la place que prit Boccherini dans la vie musicale de son époque. Violoncelliste de formation, c'est d'abord comme concertiste qu'il s'illustra. Il compose alors des oratorios et ses premiers quatuors à cordes. Il voyage à travers l’Italie, l’Autriche, la France et l’Espagne, et s'installe à Madrid en 1768. Il honore de nombreuses commandes de divers princes, des grands d'Espagne comme du Roi de Prusse. Son catalogue affiche une prolixité déroutante où l’on dénombre quelques onze concerti pour violoncelle, plus de trente symphonies, quelques concerti pour violon, pour flûte et pour clavecin, une cinquantaine de trios à cordes, dix-huit sextuors fabuleusement écrits, quatre-vingt dix quatuors, nombre de sonates pour violon, pour clavecin, pour flûte, et, surtout, une quantité invraisemblable de quintettes – cent-trente-sept !

Boccherini introduisit dans ses effectifs instrumentaux la guitare, utilisée souvent comme réminiscence populaire. Ce point désigne plus précisément son génie : avoir su mêler dans son œuvre des éléments savants à une inspiration moins mondaine. On reconnait des figures, des procédés, parfois des utilisations particulières de l'instrument tendant à l'imitation d'un instrumentarium bucolique dans nombre de ses partitions.

Au programme de ce concert, des quintettes réunissant deux violons, deux violoncelles, et un alto. On goûte l'élégance d'un style qui n'a rien à envier au classicisme viennois. Tout d'abord, le Quintette en ut majeur Op.45 n°4 surprend. La sonorité recherchée par les musiciens est d'une délicatesse troublante, parfois même précaire, d'autant plus touchante. On est sans cesse sur le fil, dans l’énigmatique premier mouvement ; il suffirait d'un rien pour détimbrer, l'on a presque peur... Notons un Rondo (Andantino lento) passionnant qui souligne les audaces harmoniques du compositeur.

Le Quintette en la mineur Op.25 n°6, nettement plus tragique, est joué avec une superbe toute opposée, mais peut-être sans la profondeur du précédant. On y entend de nombreuses imitations de style populaire. L’on apprécie les ornements discrets et délicats du premier violon. Rien d'ostentatoire, juste une dorure en passant, ni-vu-ni-connu. Le Finale (Allegro giusto) révèle une effervescente vitalité. Certains traits des violoncelles sonnent comme des percussions, les capacités de l'instrument se voyant alors détournées vers d'autres horizons.

Le programme se ferme avec le Quintette en sol mineur Op.46 n°4, d'une facture plus convenue, ce qui n'empêche pas une qualité d'invention au côté d'une maîtrise des formes et des canons stylistiques qu'on ne retrouvera qu’avec Haydn. La fin du premier mouvement, en pizz’ pudiques, met en valeur la sonorité enveloppante qu'obtient de son alto Ernesto Braucher. Après un fascinant Fandango offert en bis, introduit par une mini-conférence de Biondi sur Boccherini dont il défend la musique avec engagement, le public chante un Joyeux Anniversaire de bon cœur (de bon chœur).

BB