Chroniques

par bertrand bolognesi

Luigi Nono | Prometeo, tragedia dell’ascolto
Südwestrundfunk Sinfonieorchester Baden Baden und Freiburg

Ensemble Recherche, Schola Heidelberg, SWR Experimental Studio, etc.
Festival d’automne à Paris / Philharmonie
- 7 décembre 2015
Le Festival d'automne à Paris présente Prometeo de Luigi Nono à la Philharmonie
© dr

On se souvenait d’un certain soir de septembre 2000 où le Festival d’automne à Paris présentait Prometeo de Luigi Nono à la Cité de la musique (qui s’appelait encore ainsi, le mastodonte de Jean Nouvel n’étant pas là pour dévorer son nom, donc son identité). Cette vaste tragedia dell’ascolto surprenait alors par l’usage qu’elle faisait de la salle, répartissant les sources sonores en différents points de manière à littéralement encercler le public par la musique. Le compositeur vénitien s’est beaucoup interrogé sur la spatialisation, à travers plusieurs œuvres qui en firent l’expérience, souvent heureuse. En cela, il n’a jamais caché une imprégnation dans la tradition baroque de sa ville natale, par-delà le recours à des modes compositionnels et des procédés bien de son temps, voire des prochains.

Cette année-là, la découverte « réelle » de cette œuvre, bien au delà de la connaissance qu’on en avait par l’enregistrement paru chez EMI cinq ans plus tôt, l’emportait aisément sur l’appréciation. Plus tard, réentendre Prometeo se cantonnait au salon, grâce à la captation du Südwestrundfunk éditée par Col legno (2007) et à la référence déjà citée. Depuis le concert, ces écoutes toujours parurent insuffisantes, au point d’avoir entraîné un abandon progressif à la faveur d’autres opus s’invitant plus confortablement chez soi.

D’emblée, la grande salle de la Philharmonie se révèle plus efficace encore que sa voisine aînée. Sous l’embryon d’orgue, le balcon d’arrière-scène a été démonté, ce qui ouvre plus encore l’espace déjà grand, affirmant une saine distance entre les ensembles vocaux et vocaux, les solistes et l’électronique. Est-ce ainsi que sonnait Prometeo à San Lorenzo il y a trois décennies ? Retrouvons pour quelques lignes Martine Cadieu : « Conférence de presse. Nono face au public. Cacciari, Renzo Piano. Nono est tendu, comme sur la défensive. Pourquoi faut-il expliquer ? Bien sûr, l’enjeu est grave. Les auteurs du Prometeo, le poète philosophe et le compositeur poète, ont vécu les mêmes lectures, les mêmes recherches, la même soif. Ilsvontarracherl’artà saforme. Ce n’est pas un opéra, ce n’est pas un spectacle, ce n’est pas un rite”. Il faut oublier la primauté du regard, la vision de la musique. Écouter, simplement écouter, de cette autre écoute, toute intérieure » (in Présence de Luigi Nono, Pro Musica 1995).

L’extrême lisibilité de la direction d’Ingo Metzmacher (qui signait d’ailleurs le CD EMI évoqué), comme de celle de Matilda Hofman, la précision des plus aguerries des voix de Susanna Andersson et Christina Daletska (soprani), Markus Francke (ténor), Noa Frenkel et Els Janssens-Vanmunster (contralti), mais encore les performances des instrumentistes de l’Ensemble Recherche et du Südwestrundfunk Sinfonieorchester Baden Baden und Freiburg ainsi que les interventions remarquables des voix de la Schola Heidelberg, tiennent de la prouesse. La conception de l’espace sonore est une nouvelle fois signée André Richard qui dirige lelive electronic – désormais incontournable de la sphère Nono [lire nos chroniques du 21 avril 2004, du 8 mars 2011 et du 18 novembre 2014] –, les acteurs du dispositif de l’Experimentalstudio du Südwestrundfunk étant Michael Acker, Reinhold Braig et Joachim Haas.

Qu’en est-il de notre réception de l’œuvre aujourd’hui ?
S’il est embarrassant de devoir s’avouer très en dehors, l’honnêteté le réclame. Prometeo impressionne par les moyens que met en présence son grand geste lent et contrasté, mais contrairement à ce que put dire le compositeur lui-même (lire plus haut), s’il ne s’agit en rien d’un opéra ni d’un spectacle, c’est bien un rituel, cabotin par déni, de surcroit. De fait, cette vacuité très coupable dans laquelle nous laisse la soirée permet d’observer certaines écoutes qu’on dira « religieuses ». Un bon cinquième du public quitte physiquement le cérémonial au fil de ses deux heures et demie. Convoquons une nouvelle fois l’honnêteté : peut-être ces messes convenaient-elles à l’auteur de cette chronique il y a quinze ; ce n’est plus le cas. Nono n’y est pour rien, bien entendu – mea culpa. Quoi qu’il en soit, le Festival d’automne (à l’initiative de l’exécution de septembre 2000 et de la création française, le 5 octobre 1987) parachève en beauté le portrait qu’il lui dédiait depuis sa précédente édition [lire notre chronique du 14 novembre 2014] !

BB