Chroniques

par gilles charlassier

Madama Butterfly | Madame Butterfly
opéra de Giacomo Puccini

Opéra de Rennes
- 16 juin 2022
"Madama Butterfly" de Puccini à l'Opéra de Rennes, par Fabio Ceresa
© martin argyroglo

L’Opéra de Rennes clôt sa saison avec un grand classique du répertoire. Selon Opéra sur écran(s), une initiative lancée en 2009, d’abord tous les deux ans puis à chaque fin de saison depuis 2019, la dernière représentation est également diffusée en plein air, à Rennes et en région – les conditions caniculaires de ce soir s’y révèlent favorables. Venue du Maggio Musicale Fiorentino et du Teatro Petruzzelli de Bari, la production de Fabio Ceresa [lire notre chronique de La clemenza di Tito], reprise dans l’Ouest de la France lyrique en partenariat avec l’Orchestre national des Pays de la Loire, se révèle parfaitement calibrée pour de telles projections propices à un élargissement du public.

Dessinée par Tiziano Santi [lire notre chronique d’Adina], la scénographie épurée s’appuie sur des panneaux mobiles couleur bronze qui façonnent habilement la demeure de Cio-Cio-San autant qu’ils modulent les effets d’approche et d’éloignement, entre l’intérieur et l’horizon, mais aussi entre les personnages, nœud de ce drame de l’attente. De la blancheur de l’aube au rougeoiement du soleil levant et du sang, l’abstraction lumineuse, réglée par Fiammetta Baldisseri, dans laquelle plonge la jetée, promontoire de l’espérance sur lequel se sacrifie l’héroïne selon une image consacrée, rejoint celle d’un folklore vestimentaire que Tommaso Lagattolla réduit à sa quintessence non pittoresque [lire notre chronique de Rigoletto]. Le spectacle privilégie un premier degré décanté et se révèle d’une évidente lisibilité pour tous, sans se figer dans les stéréotypes. Grâce aux mouvements chorégraphiques que signe Mattia Agatiello, n’est pas oublié un sens du rituel dans la cérémonie nuptiale qui affleure, comme attendu, dans le reste de la direction d’acteurs. La production tire parti de la charge symbolique des calligraphies au pinceau en guise de contrats, au croisement du dépaysement divertissant pour le lieutenant américain et de la foi dans les traces scripturales de la tradition pour la jeune nippone – dans son refus d’en dévoiler le contenu, l’artifice se focalise sur le geste comme symptôme du malentendu des noces.

De fait, cette conception sert d’écrin à des incarnations moins éthérées que de coutume, à commencer par celle du rôle-titre. Dans le second cast entendu en cette dernière soirée, Karah Son, qui déjà le chantait à Montpellier [lire notre chronique du 4 octobre 2019], affirme une Cio-Cio-San au timbre rond et charnu, qui souligne sans doute davantage la sensualité des sentiments que leur vulnérabilité – une approche néanmoins complémentaire des archétypes de fragilité, parfaitement cohérente avec la conception générale. En Pinkerton, Angelo Villari fait valoir un métal vaillant dont l’éclat ne s’embarrasse pas de plus de subtilités que le personnage lui-même, matamore inconscient des conséquences de ses jeux de cœur [lire nos chroniques de La campana sommersa et d’Il trittico]. C’est sans doute chez la Suzuki de Manuela Custer, plus complexe que d’accoutumée, que l’on entend le plus de nuances, équilibrant les registres avec intelligence au gré des affects et des mots, tant dans l’homogénéité du medium que dans la définition de la partie supérieure de sa tessiture [lire nos chroniques d’Orlando finto pazzo, Madama Butterfly et Le nozze in villa].

Le reste du plateau accompagne efficacement la dévolution du drame. Marc Scoffoni résume la vigilance impuissante du consul Sharpless, dans un portrait averti des convenances [lire nos chroniques du Portrait de Manon, d’Adriana Lecouvreur, La traviata, Così fan tutte, Manon et Werther]. Gregory Bonfatti ne néglige pas le mordant de l’entremetteur Goro [lire nos chroniques de Turandot à Toulouse et à Macerata, de Falstaff à Parme et à Aix-en-Provence], poussant la candidature d’un Yamadori dont Jiwon Song restitue la carrure sociale dans les quelques répliques qui lui incombent [lire nos chroniques d’I Pagliacci, Hamlet et Missa Solemnis]. Ugo Rabec proclame la vigoureuse condamnation du Bonze, quand Kate Pinkerton revient à Sophie Belloir, laquelle ne néglige pas sa courte apparition. Préparé par Xavier Ribes, le Chœur d’Angers Nantes Opéra ne démérite aucunement. Quant à l’Orchestre des Pays de la Loire, placé sous la direction vigoureuse de Rudolf Piehlmayer, il fait résonner une plénitude sonore et un trait mélodique volontaire qui disent sans ambiguïté l’orientation de cette Butterfly.

GC