Chroniques

par gilles charlassier

Magnus Lindberg | Tempus Fugit (création française)
Alexandre Bloch dirige l’Orchestre national de Lille

Le Nouveau Siècle, Lille
- 27 septembre 2018
création française de Tempus Fugit (Lindberg) par l'Orchestre national de Lille
© ugo ponte

L'Orchestre national de Lille ne craint pas la création contemporaine, en invitant chaque saison deux compositeurs en résidence, sans autre préjugé que son investissement dans le travail de la forme symphonique. Si Benjamin Attahir reste dans les murs du Nouveau Siècle, Magnus Lindberg prend, cette année, le relais d'Hèctor Parra [lire nos chroniques des 22 mars et 9 juin 2018], témoignant d'une authentique ouverture esthétique. Si le compositeur finlandais s'inscrivait dans une démarche d'expériences sur la matière sonore que son cadet catalan ne renierait pas (entre autres avec l'électronique à l'Ircam), sa production s'est désormais réorientée, au changement de millénaire, vers ce que par commodité l'on étiquette postromantisme nordique.

Le concert inaugural assume pleinement cet engagement en faveur de la musique de notre temps, en introduisant la soirée par une des dernières œuvres de Lindberg, Tempus Fugit, donnée en première française, un an après son baptême à l'occasion des célébrations du centenaire de l'indépendance de la Finlande. En cinq parties, articulées autour d'un motif de fanfare réversible, la partition déploie un magma texturé qui balance, via une dialectique quasi statique, entre élans cuivrés et approfondissement de la pâte orchestrale. Si l'on peut deviner çà et là certains traits harmoniques hérités de Sibelius, le traitement de la matière musicale, privilégiant la densité à l'aération analytique des textures, évoque plus l'écriture brahmsienne que la Klangfarbenmelodie. D'une demi-heure, la pièce favorise un geste large, immergeant les détails, que la baguette d'Alexandre Bloch dilate avec à-propos afin de laisser s'épanouir un plaisir de la collégialité symphonique, communicatif pour un public qui n'a pas à affronter d'iconoclasmes et d'intellectualité modernistes.

Remplaçant au pied levé Emmanuel Pahud, Clément Dufour, flûte solo de l'ONL depuis mars 2017, assume la virtuosité du Concerto pour flûte et orchestre de Jacques Ibert, passage obligé – et d'une difficulté redoutable ! – dans le parcours d'études d'un flûtiste. Le tropisme, que l'on qualifierait instinctivement de français, de la fluidité de l'Allegro est servi avec une volubilité constante et maîtrisée. Par contraste avec l'opus précédent, il met en valeur la clarté de ligne des pupitres lillois. L'Andante ne manque pas de sentiment, ici calibré avec tact, quand l'Allegro scherzando final confirme l'intarissable et tourbillonnante virtuosité d'une œuvre qui ne laisse aucun répit au soliste, ni à la jubilation de l'oreille, et à laquelle il est fait honneur, ce soir.

L'originalité – et la modernité – est également à l'œuvre dans Petrouchka de Stravinsky dont Alexandre Bloch a choisi de donner la version originale de 1911, véritable gageure dans le foisonnement rythmique et thématique qui sollicite les ressources de la phalange française. Les exigences techniques n'obèrent pas l'imagination narrative et chorégraphique de la musique pantomime, dans une lecture nourrie de fougue juvénile sans renoncer à la lisibilité d'un discours dont on pourra encore fouiller les affinités formelles. Une conclusion haute en couleurs annonce une saison qui ne le sera pas moins – avec, entre autres, un cycle Mahler (en 2019), désormais pierre de touche de la valeur des chefs et des orchestres.

GC