Chroniques

par françois cavaillès

Maria Stuarda, opéra de Donizetti (version de concert)
Annick Massis, Silvia Tro Santafé, Enea Scala, Mirco Palazzi

Florian Sempey, Aurélie Ligerot, Roberto Rizzi Brignoli
Opéra de Marseille
- 30 octobre 2016
à l'Opéra de Marseile, Maria Stuarda de Donizetti en version de concert
© christian dresse

Joli dimanche d'automne pour un bel « hommage à une Annick Massis parvenue au faîte de son immense talent » : ainsi s'annonce Maria Stuarda donnée en version concert et pour une seule et unique date à Marseille, dans la foulée des opéras Roberto Devereux et Anna Bolena formant la passionnante trilogie de Gaetano Donizetti (créée en Italie entre 1830 et 1837) sur les affres du pouvoir en Angleterre au tournant du XVIIe siècle [lire nos critiques des DVD du cycle Tudor, captés à Milan, à Madrid et à Vienne].

Une heure de sommeil en plus, ce matin, mais à chaque œil de légères cernes... et une reine, puisque sous l'éclatant soleil provençal le drame historique convoque Elizabeth I, promise à un pénible mariage arrangé pour gagner les intérêts de la France, et sa rivale amoureuse Marie Stuart, déchue, emprisonnée et condamnée à mort pour cause de complot contre la monarque, sa cousine.

Aux bons soins du chef Roberto Rizzi Brignoli, fin connaisseur de Donizetti et du répertoire italien en général [lire nos chroniques du 21 mars 2014, des 15 novembre et 20 mars 2013, enfin du 28 octobre 2011], dès les premières scènes l'Orchestre de l'Opéra de Marseille donne le ton : enjoué et très rythmé, propice aux principaux duels de bel canto, semble-t-il très attendu par le public qui se montre vite conquis par la puissance des cadences et les accents à forte charge victorieuse ou revancharde, presque criés à la cantonade. Qui plus est, entre les deux pôles féminins au caractère lyrique bien trempé, c'est-à-dire entre le magistral soprano Annick Massis (Maria) et le brillant mezzo Silvia Tro Santafé (Elisabetta), s'interpose le comte de Leicester incarné par Enea Scala, soit un ardent ténor dont les belles prouesses vocales galvanisées ont aussi comblé les amateurs de l'œuvre pour tout son bric-à-brac romantique rossinien [lire notre chronique du 22 juillet 2014].

Si, sans oublier les interventions carrées du sage conseiller Talbot et de l'implacable trésorier Cecil – la basse Mirco Palazzi, excellent dans la sobriété du personnage, et le baryton Florian Sempey, d'une intéressante clarté rauque [lire nos chroniques du 19 juillet 2013 et du 24 septembre 2010] –, Maria Stuarda s'élance parfois vers Verdi au futur proche, dans la détresse des ultimes confessions, et si le lyrisme peut s'élever assez haut, grimpant comme le lierre du livret sur la tragédie inspiratrice Maria Stuart du grand poète allemand Schiller (publiée en 1800), peut-on atteindre plus d'empathie avec les protagonistes, par exemple dans l'attente avec la reine Elizabeth, entre clémence et fermeté, « qu'une lumière du Ciel vienne éclairer mon esprit » (Acte I, Scène 2) ? Cette fragile ambiguïté des sentiments manque quelquefois au ressenti, par-delà la scène.

De l'interprétation dans son ensemble, à travers tant de passages difficiles comme il se doit chez le Bergamasque, la mission paraît toutefois largement accomplie, d'évidence et sans conteste en certains points, ainsi par la grâce du Chœur local dans ses instants tonitruants, par le véritable tour de magie choral et orchestral à l'ouverture lugubre de la scène finale du premier acte, avec même l'impression d'écouter du plus grandiose Donizetti – ou encore à la lumière du mélodieux sextuor central, bien complété par le jeune soprano Aurélie Ligerot [lire notre chronique du 25 janvier 2012] qui sait trouver la juste voix, humble et précieuse, de la suivante Anna.

À propos du rôle-titre, outre que vocalisant sans doute au sommet de son art Annick Massis y est enchanteresse [lire nos chroniques du 17 novembre 2015, du 17 mai 2013 et du 4 avril 2003], la parole de vérité semble éclater au cœur de l'opéra et devant tous les personnages, en ces quelques mots : « elle s'est condamnée elle-même ». Plutôt que le fameux pique lancé à Elizabeth ou le grand message de pardon final, cette poussée suicidaire du personnage paraît des plus intéressantes à cultiver. Imaginons – c'est d'une jeune femme assise au rebord supérieur de la façade de Gaston Castel, tout près du grand saut à vingt mètres de haut, que provient le chant larghetto :

« Le spectre blafard de mes fautes
Toujours s'est imposé
Entre le Ciel et moi ».

Ainsi débute la perte de soi, se sachant punie de mort (fin du I). Par la voix noble d'Annick Massis l’oreille accueille tant de pensées (les derniers aveux au confesseur, la fin des innombrables considérations sur sa vie, la perte d'un ultime rêve de l'union dans le bonheur) qu'il y aurait là vraiment un bel canto : l'art lyrique de révéler certaines meurtrissures du quotidien et comme d'enfouir la tête chagrine dans le doux oreiller.

FC