Chroniques

par bertrand bolognesi

Matthias Pintscher et l’Ensemble Intercontemporain
œuvres de Boulez, Stravinsky et Varèse

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 10 février 2013
le compositeur Matthias Pintscher, photographié par Andrea Medici
© andrea medici

Le 2 décembre 1954 était créé Déserts d’Edgard Varèse. L’Orchestre national de la Radio Télévision Française était alors placé sous la direction d’Hermann Scherchen. Cette première provoqua un mémorable barouf, l’un des grands scandales de l’histoire de la musique au XXe siècle. Ce concert eut lieu au Théâtre des Champs-Élysées qui, fêtant son centenaire tout au long de la saison 2012/13, met Déserts à l’honneur comme l’un des moments qui marquèrent son existence.

Cette soirée rappellera aisément que le plus élégant théâtre parisien fut en ses débuts celui de la modernité : s’y produisent ce soir les musiciens de l’Ensemble Intercontemporain, dans un programme qui, pour faire la part belle à Varèse, affiche des pages de Stravinsky et de Boulez, grands habitués du quartier, si l’on ose s’exprimer ainsi. Triple symbole, enfin : c’est en 2013 que le compositeur Matthias Pintscher prend ses fonctions à la tête de l’EIC où il succède à Susanna Mälkki ; ainsi cette soirée se signale-t-elle comme l’entrée officielle dans une nouvelle ère – tout au plus un énième tournant dans les trente-sept ans d’activité de la formation.

Des Huit miniatures d’Igor Stravinsky est livrée une lecture qui surprend. D’une couleur assez « charnue », la première fait place à un Vivace qui peine à respirer dans un son trop gras, tandis que le Lento révèle un choix d’expressivité assez judicieux. La suivante souffre d’une curieuse brutalité d’approche qui ne laisse guère profiter des timbres, de même que le Moderato qui s’avère à la fois pâteux et raide. Cette dureté générale s’affirme plus encore dans la sixième pièce et dans le Tango conclusif, assez maladroit. Seul le Larghetto retient l’écoute.

Du Concertino – de même que les Miniatures (1962) étaient une adaptation du recueil Les cinq doigts de 1921, il s’agit de la transcription (1952) d’une pièce pour quatuor conçue en 1920 – est donnée une version qui privilégie une couleur plutôt riche. Cependant, les passages rapides semblent précipités et l’ostinato est bientôt « jazzifié » à outrance. S’ensuit un étrange sentiment d’à-peu-près, sentiment qui ne saurait être réalité lorsqu’on sait l’extrême précision des solistes. D’où nait cette impression, alors ? Peut-être de ce que les équilibres ménagés par le compositeur se trouvent ici un rien bousculés, au désavantage de l’exécution.

Le mezzo-soprano Margriet van Reisen gagne la scène. 1954 : Pierre Boulez écrit Le marteau sans maître d’après René Char dans l’œuvre duquel il puise son inspiration pour la troisième fois (Le visage nuptial, 1946-1989 ; Le soleil des eaux, 1947-1965). La pièce est créée l’année suivante par Hans Rosbaud à Baden Baden. Là encore, l’interprétation de Matthias Pintscher ne convainc pas : rien ici des savants fondus de timbres ni des expressives péroraisons insulaires qu’on en attend. Seuls les mouvements avec voix « replace » les composantes, pour ainsi dire. La subtilité de conception du jeune Boulez n’est pas assimilée. C’est un comble, s’agissant de « son » ensemble qui bien évidemment fréquente cette page très régulièrement.

Alors, de déception en déception ?... pas du tout, car après l’entracte le frais quadragénaire allemand révèle ses qualités dans Octandre de Varèse. La démesure lui sied hardiment dès le premier mouvement, le nerf du deuxième est lest comme rarement, enfin la hargne du troisième trouve un corps quasi orgiaque, sur le chant très prégnant de la contrebasse. Assurément, la conclusion du concert ne nous contredit pas : Pintscher sculpte Déserts dans un albâtre riche et changeant au fil d’une petite demi-heure passionnante. L’énergie est grande, robuste, le travail ténu, dense, le souffle long, puissant, le ton musclé : autant d’avantages qu’on souhaite retrouver dans Arcana et plus encore dans Amériques.

BB