Chroniques

par david verdier

Neuvième de Mahler par Daniele Gatti
Tout Mahler | Orchestre National de France

Théâtre du Châtelet, Paris
- 15 septembre 2011
© dr

Pour l'Orchestre National de France, l'ouverture de la saison 2011-2012 débute par une conclusion – en l'occurrence, celle du cycle Mahler, débuté en 2009 [lire notre chronique du 29 octobre 2009]. Si toutes les étapes de ce long parcours ne furent pas d'un niveau égal, le projet ne manquera pas de figurer, avec le recul, parmi les cycles les plus ambitieux donnés par cet ensemble. La saison ne sera pas avare en moments forts avec notamment la version concert de la production du Parsifal donné à Bayreuth [lire notre chronique du 15 août 2011], la version Deryck Cooke de la Dixième de Mahler, le Concerto à la mémoire d’un ange de Berg avec Frank Peter Zimmermann, le Chant de la terre avec Marie-Nicole Lemieux, etc.

Cette Neuvième arrive dans un calendrier parisien chargé (pas moins de trois versions données en moins d'un an). Par l'effet conjugué d'une commémoration très marketing et la dilution émotionnelle du grand public, cette symphonie est en passe de devenir le tube idéal d'une société en crise. Grave erreur de jugement que celle consistant à réduire à un spleen chic et sophistiqué une musique intime et fuyant la pose. Cette remarque suffirait à distinguer les interprètes en fonction du seul sens musical et du refus de tout pathos superflu et psycholâtre. Fidèle à cette règle, on placerait logiquement hors concours la prestation de Claudio Abbado à la tête de l'Orchestre du Festival de Lucerne à l’automne dernier. Ni Valery Gergiev, ni surtout Gustavo Dudamel n'ont depuis atteint ce degré de plénitude sonore et d'adéquation entre les intentions d'un chef et les qualités intrinsèques des musiciens.

La proposition de Daniele Gatti ne souffre d'aucune contestation pour ce qui concerne le nombre et la valeur des idées qu'il soulève dans cette symphonie. Les détracteurs de la gestique classique façon Kubelik ou Klemperer passeront rapidement leur chemin, à la recherche d'un Mahler sans doute plus cursif dans la structuration, aux arêtes sonores plus accentuées. Jamais pris en défaut relativement à la connaissance de l'œuvre, la battue du chef italien ne peut éviter de donner le sentiment d'un « métier » éprouvé et manifeste. La mise sous surveillance de la partition est une conséquence de la maîtrise évidente avec laquelle il l'interprète. Il serait mesquin de préciser que certains orchestres exigent plus que d'autres que le chef adopte envers eux ce genre de position – internet regorge de témoignages filmés à travers lesquels on peut se faire une idée de l'adaptation de Daniele Gatti à son effectif.

L'Andante comodo initial est tenu sur un 4|4 fort régulier qui ne permet pas le libre miroitement harmonique de la Klangfarbenmelodie tel qu'on le retrouve, notamment, chez Abbado. La ligne rythmique assez dure maintient les musiciens en deçà du seuil expressif, ce qui ne va pas sans perturbation, entre autre chez les cuivres.

Le Ländler du deuxième mouvement est joué à fleur de notes, avec une approche plutôt Seconde École de Vienne – variante décalée et décadente de l'esprit viennois le plus chorégraphiquement crémeux. Ici, nul débordement (sans même parler de froideur) : le souci d'une mise en place précise semble l'emporter sur le besoin de caricaturer la référence. Le Rondo-Burleske est enlevé dans un tempo de haute virtuosité ; le fugato se propage à la masse orchestrale comme une traînée de poudre incontrôlable. C'est tout juste si l'on remarque au passage le thème dégingandé de la Veuve joyeuse, entraîné par le torrent contrapunctique.

L'ample respiration de l'Adagio unit dans la simplicité du thème les pupitres de cordes mis à mal dans les chevauchements de motifs au mouvement précédent. C'est le moment du concert où les intensions de Gatti semblent les plus cohérentes, malgré une lenteur qu'on pourrait trouver moralement et musicalement déplacée chez d'autres chefs si elle ne produisait pas ici une telle densité harmonique et la sublimation de la perception sonore. Le silence qui s’ensuit est la conclusion logique d'un tel concert. Cette Neuvième est d'une forme moins liturgiquement abbadienne (du moins pour ce qui est de l'élément « sacrificiel », oserait-on dire) ; Gatti renoue avec la voie laissée inexplorée depuis la fin des années soixante par des chefs « historiques » ayant participé à la redécouverte de Gustav Mahler.

DV