Chroniques

par bertrand bolognesi

Nouvel Ensemble Moderne de Montréal
soirée de clôture

Manca / Théâtre Francis Gag, Nice
- 18 novembre 2006
Lorraine Vaillancourt dirige le Nouvel Ensemble Moderne de Montréal
© nathalie cloutier

Parce que tout a une fin, cette édition de Manca s’achève par une soirée canadienne, puisqu’elle accueille le Nouvel Ensemble Moderne de Montréal. Copieux, le programme s’articule en trois parties, séparées par deux entractes, qui nous tiennent en haleine jusqu’à vingt-trois heures trente. C’est autour d’un souhait de François Paris, directeur du festival et du CIRM, que fut construit ce concert : qu’y soient jouées Domus Aurea conçu pour vibraphone et piano par l’Américain Edmund J. Campion en 1999/2000, et Vortex temporum de Gérard Grisey, l’un des maitres du précédent.

« Vortex est une œuvre que le NEM a beaucoup jouée autrefois, confie Lorraine Vaillancourt (fondatrice de cet ensemble, en 1989), et que nous avons reprises cette année pour une chorégraphie. Celle de Campion rentre à notre répertoire, et les musiciens l’ont donc tout spécialement travaillée pour Manca. Ce n’est pas le cas des autres pages données ici : nous fréquentons régulièrement la musique de Harvey et nous avons consacré l’une de nos biennales de Montréal à celle de Donatoni, par exemple. Pour Vivier, c’est plus compliqué, car son catalogue comprend peu d’opus chambristes ».

Avec Domus Aurea de Campion, Lotuses (flûte, violon, violoncelle et alto ; 1992) de Jonathan Harvey et Paramirabo (flûte, violon, violoncelle et piano ; 1978) de Claude Vivier, la première section du concert, servie par une interprétation brillante, n’est pas dirigée. Après Lotuses qui saisit directement l’écoute, Paramirabo s’inscrit dans la longue période orientale du Canadien Vivier. « Lors de ses nombreux voyages, nous dit la cheffe, il fut influencé par les musiques orientales, comme en témoignent de nombreuses pièces : Samarkand, Shiraz, etc. Dans Paramirabo se trouve tout Vivier : le côté parfois ludique, mais aussi le contenu dense qui débouche sur des harmonies lumineuses qui prennent un grand impact après les moments plus ou moins confus de superposition. C’est également une pièce où l’on peut constater l’éternel côté naïf de ce compositeur, dans une tristesse quasi enfantine, peut-être. Elle est, en tout cas, toujours touchante et d’un abord facile, rapidement perceptible. Il a écrit beaucoup de petites pièces chambristes, mais elles ne sont pas toujours aussi intéressantes que celle-ci, parce qu’il répondait à des commandes de concours, la plupart du temps dans une certaine urgence. J’ai créé beaucoup de ses œuvres dont son opéra, son magnifique répertoire vocal – pensez à Prologue pour un Marco Polo, par exemple ! –, mais beaucoup d’entre elles sont conçues pour de vastes ensembles, de sorte que le NEM ne peut se les approprier. On pourrait jouer Pulau Dewata, mais je l’estime trop imitative du gamelan et à ce titre plus représentative de l’amour de l’auteur pour l’Orient que de sa musique ; on n’y retrouve ni ses harmonies ni ses couleurs ».

C’est Arpège de Franco Donatoni (flûte, clarinette, violon, violoncelle, vibraphone et piano ; 1986) qui ouvre la partie dirigée de ce vaste menu. Lorraine Vaillancourt en livre une lecture tonique qui prend grand soin de la dynamique, dans un équilibre idéal. Nous entendons ensuite Lo que vendrá d’Inouk Demers (flûte, clarinette, percussion, piano et quatuor à cordes ; 2000) qui fut créée il y a six ans, à Royaumont. « Demers est un grand amoureux du tango, précise Lorraine Vaillancourt, ce qui explique qu’il ait emprunté ce titre à Piazzolla. On trouve là un subtil hommage au tango qu’il fait beaucoup jouer avec la microtonalité. Il n’y a quasiment pas de changements de métrique ou de tempo mais, à l’intérieur de chaque partie, les musiciens bougent vers des réminiscences de tango, exclusivement individuelles. C’est donc à la fois précis et flou, toujours troublant. Le climat est particulièrement poétique avec un long solo d’alto, très près du silence, pour finir. Alors qu’aujourd’hui, beaucoup de compositeurs produisent des musiques rythmées, traversée d’une énergie parfois démonstrative, cette pièce demeure discrètement introspective. Son énergie est souterraine ». Ce beau marathon se conclut dans une exécution d’une rare clarté, qui en révèle la densité sans jamais l’opacifier, de Vortex temporum.

BB