Chroniques

par bertrand bolognesi

Orchestre national de Lille et Véronique Gens
Hector Berlioz, Darius Milhaud et Francis Poulenc

Les Grandes voix / Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 15 mai 2003
le chef français jean-Claude Casadesus
© dr

C’est à un programme fort éclectique que Les Grandes Voix convie son public, pour son dernier concert de la saison. L’Orchestre National de Lille ouvre le feu avec L’homme et son désir, ballet de Darius Milhaud sur un argument de Paul Claudel, écrit en 1918, et créé par les Ballets Suédois en 1921, à Paris. Jean-Claude Casadesus en propose une lecture précise, concise, nette, soignant particulièrement la clarté des traits de percussion. En résulte une sorte de déchaînement tribal hypnotique des plus jouissifs, une interprétation s’inscrivant bien dans l’esprit de l’œuvre et de son auteur, bien que mal servie par un quatuor vocal déséquilibré.

Si le timbre du jeune ténor Mathias Vidal est charmant, il se laisse facilement dominer par son entourage ; on finit par le perdre dans la masse sonore. D’autant que le mezzo-soprano Jian Zhao affiche une tendance à chanter seule, sans tenir compte des voisins. Il faut lui reconnaître un timbre intéressant, coloré, une grande facilité, mais mieux vaudrait prendre garde dès aujourd’hui à des portamenti malvenus aux atterrissages plus qu’incertains... Tomoko Makuuchi se montre d’une exemplaire fiabilité ; il possède une voix au phrasé linéaire, presque statique, pour ainsi dire, qu’on apprécierait volontiers dans les messes de Haydn. Le baryton Ronan Nédélec sert l’œuvre en grand professionnel, présentant l’avantage d’un organe confortablement sonore cultivé d’un vrai sens musical. Signalons un fort beau solo de contrebasse à la fin du troisième air.

Précis sur cette première partition de la soirée, Casadesus fait montre d’une minutie attentive dans la scène lyrique Herminie que Véronique Gens donne d’un style très classique, assez proche du chant idéal pour les opéras de Gluck. La vibration est droite, presque froide, le son parfois « tiré » à la façon baroque, ce qui est plutôt bien vu dans cette musique. Signalons une diction parfaite qui permet de suivre une œuvre où le texte est important. Reste que le soprano paraît tendue et mal à son aise dans cette page, lançant un dernier aigu sans espace, sec et cru. L’interprétation se fait plus sensible sur l’énigmatique « j’exhale en vain ma plainte fugitive... ». Enfin, cet hiératisme général sert remarquablement la Prière finale.

En seconde partie, nous goûtons une Dame de Monte-Carlo de toute beauté. Écrit en 1961, juste après les Répons, ce monologue pour soprano et orchestre met en musique un texte de Jean Cocteau représentant l’effondrement d’une mondaine des salles de jeux qui, d’un air bravache, annonce en ne plaisantant qu’à demi, qu’elle va « piquer une tête dans la mer », car il ne lui reste que cela après la ruine, la honte et la déchéance. Véronique Gens déploie une force expressive indéniable et assouplit avantageusement ses aigus. Elle fait sien un texte mi-figue mi-raisin qu’elle magnifie avec superbe. Gageons qu’elle a lu et tenu compte des pages du Journal de mes mélodies de Francis Poulenc :

« ...Les ai-je approchées ces vieilles épaves, faucheuses de mise ! Je dois avouer, pour être honnête, qu’avec Auric, je les ai même croisées, au Mont-de-piété de Monte-Carlo où notre imprudente jeunesse nous conduisit une ou deux fois... Conçu pour voix de soprano et orchestre par deux, ce monologue présentait une difficulté majeure : échapper à la monotonie tout en conservant un rythme immuable. C’est pourquoi j’ai essayé de donner une couleur différente à chaque strophe du poème. Mélancolie, orgueil, lyrisme, violence et sarcasme. Enfin, tendresse misérable, angoisse et floc dans la mer ! L’orchestration, assez semblable à celle de La Voix humaine, comporte quelques touches furtives de batterie : un vibraphone, employé artificiellement comme au music-hall, une pincée de castagnettes, un coup de tam-tam à la fin. Il faut chanter La Dame de Monte-Carlo comme la Prière de Tosca, mais oui !... »

La soirée s’achève avec la Suite du ballet L’oiseau de feu d’Igor Stravinsky. Casadesus et l’ONL en donnent une version tendue qui se terminant en apothéose.

BB