Chroniques

par monique parmentier

Orient-Occident : le Dialogue des Âmes
Jordi Savall, Driss el Maloumi, David Mayoral, Dimitri Psonis, etc.

Festival baroque de Pontoise / Église Notre-Dame
- 17 septembre 2010
le gambiste Jordi Savall dialogue entre Orient et Occident musicaux
© dr

Depuis vingt cinq ans, le Festival baroque de Pontoise explore d’autres voies. Avec courage et obstination, Patrick Lhotellier, son directeur, défriche de nouveaux chemins, en quête de ce chant du monde, dévoilant des ailleurs merveilleux. Âmes et cœurs en souffrance peuvent s’y abandonner à la contemplation et au partage des émotions. L’infini désir d’un autre monde, titre du programme de cette année, ouvre les portes des Orients, géographiques ou imaginaires, affirmant la beauté de la différence. Cela ne peut mieux tomber en ces temps troublés.

Jordi Savall, comme nul autre artiste, sait nous conduire aux sources. Celles où se perdent nos origines, où nos passions nous réunissent. Dans un programme intitulé Orient-Occident, le dialogue des âmes, le chef catalan propose de redécouvrir les mélodies qui parcourent les continents et ensorcellent par leur apparente simplicité. Toutes se sont enrichies à la rencontre de chacune des civilisations. Comme le dit Jordi Savall, elles sont une parcelle de notre identité, nous unissent par leurs origines et par leur thème : l’amour. Et lorsqu’elles ne sont pas chantées par une voix, ce sont des instruments, violes (les voix humaines) et oud (la voix) qui content le chagrin, la douleur ou la solitude.

Les cinq musiciens, dont Montserrat Figueras s’accompagnant à la cithare, arrêtent l’agitation du monde pendant un peu plus d’une heure, dilatant le temps, faisant vivre une expérience amicale unique. Des violes et de l’oud, il émane un sentiment de fragilité et de profondeur, d’une insondable douleur. L’archet de Jordi Savall et les doigts de Driss el Maloumi (Oud) offrent à la musique la fluidité de l’onde qui désaltère et la mélancolie de ces chants fantomatiques survenant du passé. Aux percussions, David Mayoral fait surgir avec une extrême délicatesse le frottement et le sifflement du sable, le souffle du vent ou la violence des sentiments. Au santur, Dimitri Psonis fait miroiter la lumière, le cristallin de l’eau des sources. Tragique et bouleversante sibylle, Montserrat Figueras fait de chacune des berceuses une plainte arachnéenne. Et dans les duos, avec Driss el Maloumi, toute la magie d’un Orient intime renaît de leur complainte.

Avant la quatrième partie du programme, Jordi Savall prend la parole pour présenter ces étranges instruments de l’enchantement : rebab, santour, morisca, oud, etc. Parce qu’il est un artiste engagé depuis de longues années déjà, persuadé que la musique est peut-être le meilleur des langages pour parvenir à la paix, il présente la dernière mélodie, ici déclinée en cinq interprétations. Issue de la nuit des temps dont de nombreux peuples du pourtour méditerranéen s’attribuent l’origine, cette tendre berceuse mène aux pays des larmes et du doute, d’une vie qui s’écoule sans jamais trouver de sens - « En pleurant je passe mes jours… jusqu’à quand vais-je souffrir », disent les paroles grecques.

Superbe réussite, plébiscitée par le public, que ce concert inaugural. Nous avons bénéficié, pour notre plus grand bonheur, de deux bis, dont un Ave Maria issu du Livre Vermeil, Jordi Savall demandant à l’assemblée de chanter le refrain avec Montserrat Figueras, ce qui produisit un instant de communion radieux et fantasmagorique.

MP