Chroniques

par laurent bergnach

Orphée et Eurydice
opéra de Christoph Willibald Gluck (version avec piano)

Espace Michel Colucci, Montrouge
- 28 septembre 2007
Orphée et Eurydice, version avec piano, par la compagnie Manque pas d'Airs
© aymeric schultze

Pour Gluck, la création d'Orfeo ed Euridice, à Vienne en 1762, se révèle bien difficile, agitée de tensions avec les interprètes, en amont, et de reproches concernant un livret ne respectant pas l'unité de lieu ou encore des artifices dépeignant mal les Champs-Elysées, en aval. Si le natif de Bohême s'inspire encore de l'opera seria traditionnel, il est certain que plusieurs éléments de la réforme s'y rencontrent, qui font grincer des dents. Une deuxième version est mise au point durant un séjour parisien du musicien : tandis que Pierre-Louis Moline adapte le livret de Raniero de Valzabigi, celui-ci s'attelle à des corrections musicales, dont la transcription du rôle d'Orphée (créé par le castrat Guadagni) pour voix de ténor. Si Berlioz en remanie la partition (1859) pour mezzo-soprano et que l'usage actuel est de recourir à un contralto, c'est une version transposée pour baryton que nous découvrons ce soir – pour un spectacle repris le 4 octobre.

Soucieuse comme tant d'autres d'attirer le public vers l'art lyrique, la compagnie Manque pas d'Airs aurait pu s'orienter vers l'opérette ou le récital de musique légère. Issus de formations spécialisées, les jeunes professionnels qui la constituent ont préféré défendre l'opéra, ce patrimoine aux racines populaires qui n'est pas réservé à une élite, et qu'un livret en langue française contribue à rendre accessible au plus grand nombre. La fidélité au composteur reste de mise, mais n'exclue pas une approche innovante, comme cette mise en scène d'Alexandra Lacroix où s'opère une transformation économe des moyens.

Cernée par sept étroits parallélépipèdes présents tout au long du spectacle (tantôt sources lumineuses, tantôt miroirs), la noce se termine, les cadavres de bouteilles devenant vases funéraires le long du cercueil. Puis, les invités se muent en Furies que le poète délivrera de leurs camisoles. La réalisation sonore d'Ewa Brykalska (joyeux sauts de cloches et de bouchons, puis inquiétant souffle de forge) donne du relief aux intermèdes, mais c'est le piano d'Eugénie Galezowski qui accompagne, dans une émotion progressive, la quête du héros finalement récompensé.

Avec son physique de Pelléas, Jean-Gabriel Saint-Martin incarne un Orphée attachant, d'une douleur digne sur l'air le plus célèbre de l'ouvrage. D'abord légèrement encombrée, la voix trouve rapidement assurance et rondeur. Amélie Kuhn (l'Amour) possède des aigus éthérés, très clairs à défaut d'être puissants. Découverte à mi-parcours, Astryd Cottet (Eurydice) déroute par une présence timide, une voix sonore mais souvent étriquée et un souffle qui semble court. Par comparaison, l'expressivité et le chant de Tania Chauche (soprano) nous ont paru plus efficaces. Complétant le quatuor des chœurs, Cécil Gallois (contre-ténor), Xavier de Lignerolles (ténor) et Henri de Vacelot (baryton) forment un ensemble engagé et convainquant. Avec comme atout supplémentaire le sens de la diction, espérons que cette jeune équipe continuera longtemps d'allier ambition artistique et respect du public.

LB