Chroniques

par bertrand bolognesi

Orquesta Sinfónica Simón Bolívar dirigé par Gustavo Dudamel
Gustav Mahler | Symphonie en ut mineur n°2 dite « Résurrection »

Salzburger Festspiele / Großes Festspielhaus, Salzbourg
- 3 août 2011
Magdalena Lepka photographie Gustavo Dudamel à Salzbourg
© magdalena lepka

Salzbourg se fait assurément le rendez-vous mahlérien de cet été. Si 2010 fêta de par le monde et ses salles de concerts le cent-cinquantième anniversaire de la naissance du compositeur, c’est le centenaire de sa disparition qui nous occupe aujourd’hui, comme en témoignèrent ce printemps le festival présenté par la Gewandhaus de Leipzig [lire notre chronique introductive du 17 au 29 mai 2011]. Célébrer Gustav Mahler, c’est, pour le Salzburger Festspiele, donner sa musique, bien sûr – la Septième Symphonie, l’Adagio de la Dixième, Das klagende Lied [lire notre chronique du 31 juillet 2011], la Symphonie en ut mineur n°2 ce soir, l’Adagietto de la Cinquième ; pour les raretés : le Mouvement de quatuor avec piano, Das Lied von der Erde dans sa version pour ténor, baryton et piano, des Lieder, la Symphonie n°4 dans la version de chambre d’Erwin Stein et l’orchestration du quatuor Der Tod und das Mädchen de Schubert –, mais encore de façon raisonnée, pourrait-on dire, en proposant des croisements et mises en regard particulièrement pertinents.

C’est tout près d’ici que Gustav Mahler put achever sa Symphonie n°2 – « put achever » car la conception n’en fut pas des plus aisées. Commencée à Leipzig en 1888, avec Totenfeier terminé à Prague (10 septembre), mouvement d’abord indépendant qui deviendrait son ouverture, l’œuvre refait surface lorsque son auteur prend ses fonctions à Hambourg, en 1891. Alors décidé à poursuivre un plus vaste projet, le musicien s’isole dans la quiétude des lacs du Berchstesgadener Land, durant l’été 1892. Pourtant, le travail n’avance pas. Ce n’est qu’à la belle saison suivante qu’il parvient à écrire, cette fois à Steinbach, au bord de l’Attersee. De la Bavière au sud-ouest de Salzbourg, Mahler gagnait donc l’est de la cité, le Salzkammergut et ses grands beaux lacs de lumière et de brume, cet Attersee où Klimt passerait lui-même ses étés dans la décennie suivante (rappelez-vous certaines toiles). Là, il fait construire à quasi portée d’eau une sorte de cabanon, un carré à quatre fenêtre, juste assez grand pour accueillir un petit bureau, un piano, un tabouret, un fauteuil, e basta… et un compositeur, surtout, qui non seulement y inventera sa Deuxième Symphonie entre 1893 et 1895, mais encore sa Troisième, avant d’élire d’autres paysages, d’autres lacs, d’autres montagnes où composer durant les étés à venir. Aujourd’hui, la Komponierhäuschen de Gustav Mahler est toujours sur la presqu’île alors paisible, mais en matière de paix, il vous faudra un peu d’imagination pour la goûter, en traversant le terrain de camping qui l’intègre désormais.

Après une soirée consacrée à l’inspiration shakespearienne de Tchaïkovski, la veille, Gustavo Dudamel et les jeunes instrumentistes vénézuéliens de son Orquesta Sinfónica Simón Bolívar s’attellent à la Symphonie en ut mineur n°2 « Résurrection » de Mahler. Après un tremollo acide et questionneur, quatorze contrebasses font une entrée mafflue, « méchante », peut-être. Le thème des bois commence droit, petit, discret, clair, sans immédiateté de contraste. Et très vite, Dudamel fait chanter les musiciens, dans un grand souffle lyrique qui semble inépuisable où les rebonds timbriques sont subtilement mis en relief (au point de faire entendre Webern, déjà). Le retour du motif initial est alors sauvagement concentré. Si la sonorité, s’appuyant volontiers sur les cuivres et les bois graves, est funèbre à souhait, il n’y entre cependant aucun pathos ; c’est bien plutôt en une sorte de désert que se reconstitue le thème, dans la nudité des contrebasses. L’écoute s’étonne rapidement d’un choix d’équilibre assez inattendu, privilégiant cuivres, contrebasses et percussion, au risque d’abandonner parfois les cordes. Le dessin des bois demeure raffiné, c’est indéniable, mais violons, altos et violoncelles restent flous. N’entendez pas dans cette remarque l’aveu d’une qualité fragile de ces pupitres : non, Dudamel choisit une sonorité qui les étouffe quelque peu, quitte à faire prendre assez justement du grade à des finasseries de flûtes qui souvent passent à la trappe.

L’Andante moderato commence dans une lenteur parfaitement tenue où le chef entretient un moelleux des plus cotonneux, quand d’autres préfèrent une précarité de caractère populaire. Pourquoi pas ? C’est au contraire par de savantes demi-teintes que Dudamel sert le grazioso dont les ruptures se font alors violemment séduisantes. In ruhig fließender Bewegung bénéficie ensuite de contraste de nuances, de timbres et de tempi généreusement épicés, sans qu’ils brûlent l’oreille pour autant. Tonicité, muscle et vigueur sont au rendez-vous de cet épisode rapide. La voix d’Anna Larsson (alto) survient alors, dans une proximité expressive médusante, à laquelle répond un choral de cuivres d’une désarmante limpidité. Avec un trait de violon solo vivement coloré, Urlicht s’élève dans l’évidence d’un geste qui ne se veut point trop solennel.

D’abord nerveusement (mais sûrement) articulé, le Scherzo bascule d’une sorte de rage bondissante au Lied des bois. Gustavo Dudamel concentre le geste, évite d’entrer trop tôt dans la lumière, nimbant ainsi d’une aura supplémentaire la voix ailée de Miah Persson. Soprano et alto se liguent dans une interprétation toute de rondeur vocale du poème final. Les artistes des Wiener Singverein, préparés par Johannes Prinz, livrent une exécution simplement magistrale (et chantée par cœur, s’il vous plait). Sans aspérité aucune, le chef étire les derniers moments de la symphonie qu’il rend alors confiants, sereins et tendres, jusqu’aux ultimes accords redondants, fortississimo vibrés et souriants.

BB