Chroniques

par laurent bergnach

Oscar Strasnoy, épisode 7
Susanna Mällki dirige le Philhar’

Présences / Théâtre du Châtelet, Paris
- 20 janvier 2012
le compositeur argentin Oscar Strasnoy photographié par Martin Felipe
© martin felipe

Sur le modèle d’un précédent concert, deux éléments du cycle Sum ouvrent les première et seconde parties du présent programme, donné cette fois encore par l’Orchestre Philharmonique de Radio France [lire notre chronique du 14 janvier 2012]. Se référant à un mot qui trouve signification en grec (accord, unisson), en latin (être) et en anglais (somme), Oscar Strasnoy en a fait « le titre d’un ensemble de quatre pièces pour orchestre qui rendent chacune hommage à un mouvement de la symphonie en tant que forme, mais ne sont pas destinées à être jouées ensemble » auquel il se consacre entre 2005 et 2011.

Comme il a joué avec la notion d’ouverture dans Incipit (Sum n°1), le compositeur s’interroge sur le finale symphonique à travers The End (Sum n°4) – déjà entendu au festival Présences en février 2007, lors de sa création. Pour ce faire, il emprunte à Beethoven les dernières mesures de sa Huitième (présentée au public viennois le 27 février 1814), sur les traces d’un musicien s’appropriant un jour la valse de Diabelli « comme une mère hippopotame adopterait un bébé chimpanzé ». La musique, « le plus autoréférentiel de tous les arts » rappelle Strasnoy dans la revue Revista Varúa, a pour modèle la nature bruyante, des données abstraites (le vide laissé chez Mahler par ses enfants disparus) mais s’engendre aussi bien à partir d’une œuvre d’art. Dans The End, il place en début de mouvement les notes de l’aîné dont l’exagération l’amuse, puis entraîne vents et percussions à venir perturber l’équilibre conventionnel des unissons de cordes. Sont-elles fatiguées de lutter qu’elles s’assoupissent et ronflent gentiment ? Parodiques, ces dix minutes rappellent un Kagel désacralisant l’orchestre classique et romantique (Finale, par exemple, ici d’à-propos), pouvant faire craindre un simple gag. Pourtant, d’autres pièces ouvertes à la citation et à l’humour résistent au temps – Musiques pour les soupers du Roi Ubu (Zimmermann), Satyricon (Maderna), etc. –, ce qui nous invite à juger avec prudence une partition à l’esprit burlesque que notre temps et notre Europe – Strasnoy a bien raison – ont parfois du mal… à prendre au sérieux.

Avec Scherzo (Sum n°3), Y (Sum n°2) se réfère au cœur de la symphonie. Dédiée à la mémoire de Laura Baade, cette création mondiale prend pour sous-texte le troisième des huit Fantasiestücke Op.12 de Robert Schumann. Là encore, les cordes dominent, se tenant à une lenteur élégiaque bousculée par des interventions sinueuses et cocasses ou par des ruptures aux graves ronflants plutôt inquiétantes. Sa fin suspendue vient surprendre.

À la fin de ses études, l’attrait des compositeurs européens orienta le natif de Buenos Aires outre-Atlantique plutôt que vers les États-Unis – « mes préférences allaient à Ligeti, Berio et Kurtág ». De l’Italien, nous entendons Chemin V pour guitare et ensemble, composé puis créé en 1992, à Bonn. Un climat en demi-teinte s’y installe rapidement, assez immuable ; cet arrière-plan apaisé permet au soliste de briller (Pablo Marquez), opposant l’instrument populaire aux accents méditerranéens, sinon franchement ibériques, à un instrumentarium plus « classique ».

Après la guitare, c’est la clarinette qui sert de fil rouge puisque l’intérêt de Strasnoy pour les artistes hongrois s’affirme avec Le Mandarin merveilleux, pantomime Sz.73 de Béla Bartók composée à la suite du Prince de bois (1917) mais créée seulement le 27 novembre 1926, à l’Opéra de Cologne, dans un parfum de scandale. Susanna Mällki, l’actuelle directrice artistique de l’Ensemble Intercontemporain, régale le public d’une version qui ne manque pas d’énergie et de nuances, longuement applaudie.

LB