Chroniques

par hervé könig

Péter Eötvös dirige l’Helsingin Kaupunginorkesteri
œuvres de Claude Debussy, Péter Eötvös et Zoltán Kodály

Musiikkitalo, Helsinki
- 24 octobre 2019
Péter Eötvös dirige l'Orchestre Philharmonique d'Helsinki
© csibi

Même au cœur des frimas finlandais, chassez le naturel, il revient au galop ! Nous avions promis une semaine entière dédiée à Éros, et voilà qu’Euterpe affole nos sens, via une affiche rencontrée en ville. Dès lors, comment résister à une soirée consacré à Debussy, Kodály et Eötvös, par le maître hongrois lui-même ? Cela valait bien une scène de ménage…

Commande de plusieurs institutions italiennes, Alle vittime senza nome (Aux victimes sans nom) fut créé le 8 mai 2017 à Milan, par la Filarmonica della Scala, un an et demi avant sa présentation française [lire notre chronique du 24 octobre 2018]. L’œuvre est un monument musical dédié aux hommes et femmes, d’origine arabe ou africaine, morts noyés en Méditerranée, non loin du pays de Verdi. On sait Péter Eötvös familier des hommages humanistes – aux astronautes de Columbia (Seven, 2006), notamment –, qui confie aujourd’hui : « durant la composition, des images terribles m’apparurent, aussi bien celles de visages pris isolément que celles de la masse inconcevable de ces gens debout dans le bateau, serrés les uns contre les autres. Ces images se transforment, dans la composition, en de tendres mélodies confiées à des instruments solistes, comme en de denses masses sonores jouées par l’orchestre tout entier » (citation extraite du site de l’éditeur Schott).

Ce requiem qui ne dit pas son nom – voire « requiem dansé » – s’ouvre sur les mesures d’un violon qui énonce le thème conducteur et dialogue bientôt avec un confrère. Symboliquement, les vents sont très sollicités dans le premier mouvement (Inquieto), brossant une houle marine aux rosseries imprévues. Le motif final, qui pouvait paraître fortuit, est repris en début de portion médiane (croche = 100), favorisant un sentiment de continuité. On retrouve une alternance entre les passages tendres, sinon sensuels, et plus nerveux, à la limite du grotesque. En définitive, le canot flotte encore et la vie se poursuit, malgré toute l’absurdité de la situation… Dans le troisième mouvement (noire + 72), un aspect ethnique se dégage, puis nocturne, comme signifiant l’approche d’une terre étrangère au clair de lune. Une harpe répétitive se distingue, un cor très présent, ainsi qu’une trompette avec sourdine, avec ces six notes finales qu’aimante un pôle.

On connait bien le Concerto pour violon n°2 « DoReMi » (2013), qui doit son nom, comme son architecture, à celui de sa dédicataire, Midori Goto [lire notre chronique du 22 novembre 2014]. Joueur, le compositeur hongrois s’amuse à déformer le matériau pour faire émerger des conflits intéressants. Lui s’amuse… et l’interprète souffre. Née en 1985, Leticia Moreno porte à merveille la virtuosité essentielle à l’œuvre où l’Helsingin Kaupunginorkesteri (Orchestre Philharmonique d’Helsinki) a consigne de se faire souvent discret. La madrilène remercie les applaudissements qui la saluent par un duo avec la harpiste : Nana, cinquième des Siete canciones populares españolas (1915) de Manuel de Falla.

Après l’entracte, une rareté française s’invite au programme : la Tarentelle styrienne. Publiée par Choudens en 1891, cette pièce pour piano est remaniée par Debussy, puis éditée par Fromont sous le titre Danse (1903). Après la mort du Français en 1918, son compatriote Maurice Ravel se charge de l’orchestrer pour une présentation le 18 mars 1923, Salle Gaveau, sous les doigts de l’Orchestre Lamoureux. Sans sur-indiquer, Péter Eötvös conduit l’œuvre, guillerette et pétillante, avec une grande clarté et une immense souplesse.

Enfin, le concert s’achève par un retour en Hongrie, avec la suite que Zoltán Kodály tira de son opéra Háry János (1926), l’année suivant sa création à Budapest. Ici, on n’entend pas l’ancien hussard raconter ses aventures rocambolesques durant les guerres napoléoniennes – un personnage inventé par le poète János Garay, glorifiant l’imagination et l’humanisme –, mais un condensé musical en six sections. Un usage des cordes qui rappelle Bartók, celui du cymbalum et un écho des Danses de Galánta (1933) dans l’Intermezzo ne laissent aucun doute sur les racines de l’opus. France au combat oblige, il affleure aussi un côté Milhaud œuvrant pour le cinéma (L’horloge musicale de Vienne) ou une parodie de péplum qu’encanaille un saxophone (Bataille et défaite de Napoléon). Une version jubilatoire en diable !

HK