Chroniques

par gilles charlassier

Paavo Järvi retrouve l’Orchestre de Paris
œuvres de Beethoven, Liszt et Scriabine

Philharmonie, Paris
- 23 janvier 2019
Paavo Järvi retrouve l’Orchestre de Paris
© jean christophe uhl

L'imprévisible appartient aux risques intrinsèques du rituel, pourtant bien ordonnancé, du concert. En témoigne celui donné par l'Orchestre de Paris, ce mercredi. Assis dans son fauteuil, le public ouvre son programme avec une déception : le forfait de Radu Lupu, pour raisons de santé. Mais lorsqu'il poursuit sa lecture, quelques mots plus loin, en découvrant le nom de son remplaçant, Nelson Goerner, son exigence musicale peut être rassurée. Si l'on n'aura pas le lyrisme original du soliste roumain, son confrère germanique consolera avec son jeu solide et élégant, à l'expressivité également personnelle.

L'Allegro moderato du Concerto pour piano en sol majeur Op.58 n°4 de Ludwig van Beethoven se distingue par une clarté déliée, qui ne force jamais le discours. Palpitant d'intériorité, le cantabile de l'Andante con moto confirme autant la concentration du toucher qu'un rapport équilibré avec l'orchestre, sans pour autant négliger le frémissement qui affleure jusqu'à éclore à l'issue de l'attacca, dans un Rondo fébrile où s'épanouit un sens profond de la dynamique modulatoire déjà pressenti dans la cadence à la fin du premier mouvement.

Si, en ouverture de soirée, l'ancien directeur musical de l'Orchestre de Paris s'appuie sur des pupitres qu'il connaît bien pour dompter le flux rhapsodique de la Mephisto-Walzer, La danse à l'auberge du village S.514 de Ferenc Liszt, révélant la clarté de la construction au gré des métamorphoses des deux thèmes concurrents, la Symphonie en ut mineur Op.29 n°2 d’Alexandre Scriabine, donnée après l'entracte, réitère la pertinence d'une baguette qui sait calibrer la sensualité sonore pour magnifier son impact, sans jamais perdre de vue l'intelligibilité de la forme. En cinq mouvements dominés, chacun, par une évolution thématique singulière, la partition tisse une dramaturgie tripartite influencée par le romantisme wagnérien et lisztien, dans ses saisissants contrastes entre chacun des épisodes.

La gravité de l'Andante augural met en avant le dessin de l'harmonie, plus particulièrement des basses, tandis que les cordes déploient une pâte dense, puissante, mais non écrasante, avant un combatif Allegro dans lequel l'homogénéité des couleurs sert la vigueur du sentiment. L'insulaire Andante qui suit est traité avec tact, et, pour ne pas être lâchée, la bride laisse respirer une inspiration pastorale fluide et nourrie.

Enchaînés comme les deux premiers mouvements, les deux derniers, Tempestoso et Maestoso, conduisent vers une péroraison irradiante et maîtrisée. Après plus de quarante ans d’absence des saisons de l'Orchestre de Paris, la Deuxième de Scriabine revient dans une lecture magistrale où s'exprime l'évidence d'une veine authentiquement symphonique – à défaut de l'irréductibilité parfois plus abrupte des dernières œuvres du maître russe – qu'une phalange française est tout à fait légitime à défendre, sinon à graver.

GC