Chroniques

par jérémie szpirglas

Pelléas et Mélisande
opéra de Claude Debussy

Opéra national de Lorraine, Nancy
- 20 janvier 2010
Pelléas et Mélisande (Debussy) par Alain Garichot à l'Opéra national de Lorraine
© opéra national de lorraine

Il s'appelle Juraj Valčuha. Né en 1976 en Slovaquie, il étudie d'abord la composition, la direction d'orchestre et le cymbalum à Bratislava puis, après un bref passage à Saint-Pétersbourg dans la classe d'Ilya Moussine, il termine sa formation de chef au Conservatoire de Paris. La France lui offrira ses premiers concerts, ses premiers opéras et ses premiers enregistrements : à l'Opéra national de Montpellier, d'abord, en tant qu'assistant, puis avec l'Orchestre National de France et le Philharmonique de Radio-France. Depuis quelques années, sa carrière prend un essor international. Il vient de signer avec l'Orchestre de la RAI de Turin, une bien mauvaise nouvelle pour certaines de nos phalanges françaises qui auraient tout à gagner à lui confier leur tête. Bourreau de travail, entretenant un excellent rapport avec les musiciens, il est, à trente-trois ans à peine, un chef à suivre.

Pour s'en convaincre, il suffit d'entendre le résultat de son travail avec l'Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy, formation qu’il ne découvre pas [lire notre chronique du 27 juin 2008], dans la nouvelle production de Pelléas et Mélisande. Sa lecture de cette partition toute en couleurs et en mouvements aquatiques est admirable de sensibilité, d'équilibre et d'intelligence. Si les contrastes s'assagissent en cours de soirée, sa direction, elle, reste tendue, soignée, admirablement expressive et narrative, ronde et harmonieuse. Les musiciens le suivent toujours avec dynamisme et précision – l'orchestre, pourtant sur une pente positive ces derniers mois, sonne aujourd'hui comme rarement.

La justesse et le tact de cette baguette participent pleinement du sans-faute musical de ce spectacle. En effet, le plateau est d'une qualité et d'une homogénéité rares. Tous les rôles, jusqu'aux plus petits, sont parfaitement servis (et même celui, minuscule, du Berger, ou celui, à peine plus fourni, du Médecin). On retiendra notamment la belle et touchante Mélisande d'Ingrid Perruche, aux accents sensuels et frais parfaitement maitrisés, et l’impressionnant Golaud deNigel Smith. Baryton profond et puissant, au timbre riche et malléable, il rayonne d'une présence indéniable qui, contrairement à celle, plus frêle et fragile, du Pelléas de Kevin Greenlaw, ne souffre aucunement de la platitude de la productionGarichot.

Prenant le parti de transposer à la scène (au moyen de postures, comme dans un film à images fixes de Chris Marker) le symbolisme fleuri du livret, tout en ne respectant qu'assez peu le texte lui-même, Alain Garichot plonge l'ouvrage dans un statisme monochrome et minimaliste soigné mais ennuyeux. On en est presque réduit à considérer cette réalisation comme une version de concert sobrement mise en espace. On ferme les yeux, on oublie l'inutile vidéo de ciels nuageux, les longs intermèdes musicaux durant lesquels la scène est laissée désespérément vide, la vacuité du symbolisme des décors, pour se laisser aller au flot merveilleusement fluide du chant debussyste.

JS