Chroniques

par laurent bergnach

percussions du XXIe Siècle
Titans de Yann Robin

Musica / Auditorium France 3 Alsace, Strasbourg
- 30 septembre 2010
le compositeur Yann Robin joué au festival Musica (photo de Philippe Stirnweiss)
© stirnweiss

Strasbourg aime les percussions, jusqu’à les faire descendre dans la rue – l’an passé, les fanfares de Francesconi [lire notre chronique du 19 septembre 2009], cette année des pages de Xenakis, Guerrero et Zappa. Pourtant, alors qu’elle tutoie le quotidien d’autres cultures depuis la nuit des temps, c’est seulement vers les années trente du XXe siècle que l’Occident redécouvre cette famille d’instruments. Peu à peu, les partitions qui lui sont consacrées gagnent en nombre et en diversité – pour le meilleur et pour le pire. Ainsi, dans un texte écrit à Berkeley en février 1985, Gérard Grisey dénonce « le grand bazar des percussions tout azimut, plus séduisant pour l’œil que pour l’oreille. Que de pièce-tape-sur-tout n’ont-elles pas surgi dans les années soixante pour mener une vie aussi décevante qu’éphémère ! » (in Écrits, É ditions MF, 2008). Ce soir, en compagnie d’élèves du Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, le public est régalé de pièces n’ayant pas cinq ans d’âge, lesquelles ont eu loisir d’apprendre des erreurs passées.

Sous la direction de leur professeur Michel Cerutti, douze jeunes musiciens commencent par créer Archaos Infinita I & II (2009-10) de Philippe Schœller (né en 1957). Le premier moment semble une émergence : coupé par des pauses fréquentes, il avance par paliers en apparence répétitifs, de quelques secondes parfois, faisant la part belle à des ostinati délicats. De cette lenteur assourdie percent parfois le halo des cloches tubes et la fulgurance d’une lame que frôle un archet. Centré sur la sensation de vitesse, le second moment propose des instruments tout d’abord frappés par des tiges de métal, dans un emballement général et quelques tutti ravageurs. Un duo de caisses claires clos ce diptyque dont les parties, selon son auteur, pourraient très bien s’inverser.

Toujours en 1985, Grisey poursuivait :

« Il y a dans la percussion pure, dans l’excès et la joie rythmique le germe d’un renouveau musical permanent [...] La percussion seule, ainsi comprise, est à l’écriture rythmique ce que le quatuor fut à l’écriture harmonique : un substrat difficile, une épure implacable et limitée, un véritable retour aux sources ».

Durant les années quatre-vingt, l’esthétique de Yannis Xenakis tend vers ce dépouillement. Joué par Victor Hanna, Rebond A gagne peu à peu en complexité, en déploiement d’énergie touchant à la musique de transe ; mais ce n’est rien comparé à son pendant, Rebond B, complexe d’emblée, défendu par Emmanuel Hollebeke. Ce n’est pas exagérer que dire des solistes qu’ils recueillent une ovation souvent réservée aux seuls pianistes virtuoses.

Passons vite sur Short stories (2005), une pièce pour vibraphone de Martin Matalon (né en 1958). Très tôt, ce babillage ne révèle rien d’essentiel et, à part quelques rudesses qui brisent le scintillement général et les ultimes accords, son ronronnement est ininterrompu. Tout le contraire de ce que nous offre Yann Robin (né en 1974) [photo] avec Titans (2008) !

En effet, à effectif identique, là où Schœller installait un climat désertique, son cadet déclenche des giboulées, avec tonnerre sournois et pluie de grêle. L’œuvre reste toujours sous tension, parfois brutale, mais jamais sans nuances ; comme une sauvagerie sans cruauté. À mi-course, tout s’apaise un moment, miroite, mais la sombre présence des gongs et des plaques de métal annonce le retour à l’initial déchaînement. Retrouverons-nous cet esprit dans Phigures, Art of Metal II (5 octobre), Vulcano (le 8) et les deux commandes déjà passées par le festival, pour 2012 ?

LB