Chroniques

par gilles charlassier

Philémon et Baucis
opéra-comique de Charles Gounod

Opéra de Tours
- 20 février 2018
L'Opéra de Tours exhume Philémon et Baucis de Charles Gounod (1860)
© marie petry

Les commémorations Gounod ne contraignent heureusement pas à ressasser l'éternel Faust, même si la programmation des maisons d'opéra grelotte parfois dans la frilosité supposée du public. De fait, mis à part l'exhumation très attendue de La nonne sanglante en juin prochain à l'Opéra Comique, l'Hexagone se montre avare de curiosité pour le bicentenaire du compositeur français, et le mélomane qui souhaiterait explorer un corpus lyrique d'une douzaine d'ouvrages et aurait déjà goûté à Roméo et Juliette, Mireille ou Le médecin malgré lui, présents à des degrés divers dans les dernières saisons françaises, doit souvent passer les frontières, à Leipzig pour voir Cinq-Mars autrement qu'en concert [lire notre chronique du 27 mai 2017], ou encore à Londres où le University College Opera sort Polyeucte de son linceul en mars. En France, Tours se démarque en mettant à l'affiche Philémon et Baucis (1860), seule contribution originale à l'anniversaire, hors de la capitale. Pourtant, la pièce aurait de quoi susciter l'intérêt, autant pour des raisons musicales qu'économiques – cinq rôles seulement à distribuer. Mais l'initiative tourangelle est restée veuve de coproductions.

Inspirée par la fable de La Fontaine, nourrie d'Ovide, dans la mise en livret des incontournables Barbier et Carré, l'œuvre distille un parfum délicatement irrévérencieux dont tirera vraisemblablement profit Offenbach dans Orphée aux enfers. Julien Ostini ne passe donc pas à côté d'un humour chansonnier où l'Olympe se fait le tain des vicissitudes politiques, aujourd'hui souvent en marche comme Jupiter et Vulcain hors de l'ermitage des dieux, dans une actualisation qui n'a généralement guère besoin de beaucoup de lubrification textuelle. Le gréement de toiles fatiguées baignées du crépusculaire éclat de la vieillesse, dessiné par Bruno de Lavenère, et rehaussé par les éclairages de Simon Trottet, accusent un peu la paille pastorale, avant de se décanter dans un éden presque minimaliste, où les cordages blancs descendant des cintres façonnent une forêt d'illusions auxquelles n'échappera pas la toute-puissance jupitérienne.

Le plateau vocal témoigne de la santé de la nouvelle génération de gosiers français – parfois snobée par certaines grandes maisons parisiennes au nom de la standardisation internationale – et garantit l'indispensable limpidité de la diction. Norma Nahoun fait palpiter une Baucis pleine de sensibilité fruitée et charnue, à laquelle ne saurait résister le Philémon de Sébastien Droy, à la claire vaillance. Alexandre Duhamel domine par son incarnation solaire de Jupiter, habillé d'un bleu royal et doré pour paraître au milieu des mortels. Plénitude de l'émission, justesse du phrasé, longueur de la ligne : on ne peut qu'admirer la maîtrise avec laquelle le baryton exprime ses moyens, mettant l'accent sur le caractère trop humain du souverain des dieux. Éric Martin-Bonnet régale avec sa composition du claudicant Vulcain noirci de charbon, de jalousie et d'amertume, et ne court pas après d'inutiles séductions lyriques pour un rôle d'abord de caractère. Enfin, Marion Grange se délecte de la gouaille syndicaliste de la Bacchante.

Malmené par un mouvement de grève dans la fosse qui a retardé d'une heure le début de la soirée, Benjamin Pionnier n'en perd pas pour autant l'énergie convaincue avec laquelle il défend une partition savoureuse, parfaitement dans l'esprit de l'opéra-comique, nonobstant quelques équilibres perfectibles au sein de l'Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours. Les oreilles, n'en tenant pas rigueur, retiendront une jolie et sympathique redécouverte, avec un beau service à la française.

GC