Chroniques

par bruno serrou

présence de Witold Lutosławski
Esa-Pekka Salonen et l’Orchestre Philharmonique de Radio France

Présences / Théâtre du Châtelet, Paris
- 12 février 2011
© dr

Autre concert Présences au Théâtre du Châtelet ; à une semaine d’intervalle, même asthénie. À la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, Esa-Pekka Salonen se confirme chef époustouflant et compositeur sans inspiration, écrivant ce que d’aucuns qualifient de musique de chef d'orchestre, concept en lequel il ne voit « rien de péjoratif » au demeurant : bien orchestrée et fort cultivée, avec un nombre conséquent de citations, entre autres Dukas, Debussy, Ravel, Stravinski, etc. Le musicien finlandais mettait ce samedi en regard trois de ses œuvres avec l’ultime symphonie du plus grand des compositeurs polonais, la Quatrième de Witold Lutosławski (1913-1994).

La plus intéressante des trois pièces de Salonen était la plus ancienne, Giro, composée en 1982, hélas revue en 1997. Certes moins dopée que la course cycliste italienne homonyme, ce Giro-là est un cercle harmonique qui tourne autour d’un axe central. Cette œuvre est édulcorée par rapport à l’original dont les textures furent jugées par l’auteur « trop compliquées » et « recherchées », ce qui l’incita à retirer la partition de son catalogue jusqu’à ce que le violoncelliste Anssi Karttunen, alors directeur artistique de l’ensemble Avanti !, lui commande une pièce qui le conduira à reprendre Giro « avec le bénéfice de [ses] quinze années d’expérience de chef et de compositeur » ; ce qui, écrit Salonen sans ambages dans la programme, l’a conduit à « simplifier » les structures rythmiques, à optimiser l’écriture instrumentale et, insiste-t-il, « sans doute le plus important -, [à] réinterpréte[r] l’harmonie d’une façon presque tonale » – on croit lire ici le discours de Krzysztof Penderecki, son aîné de plus d’un quart de siècle… Le presque tient ici de l’euphémisme, tant il ne reste que fort peu de frottements et de moments susceptibles d’éveiller l’esprit de l’auditeur. Cette page tient donc davantage de la période étasunienne du Finlandais que de la précédente.

Composées entre 1998 (Gambit) et 2001 (Foreign Bodies), les deux autres opus sont amphigouriques et d’une longueur excessive, malgré leur brièveté. Dédiée au compatriote et ami compositeur Magnus Lindberg pour son quarantième anniversaire, le premier dure moins de dix minutes, avec d’interminables figures descendantes sur un rythme fondamental dont l’on ne perçoit guère les combinaisons susceptibles d’en découler. Créé le 12 août 2001 sous la direction de son dédicataire Jukka-Pekka Saraste, autre Finlandais, à Kiel dans le cadre du Festival du Schleswig-Holstein, Foreign Bodies, comme son titre l’indique, renferme quantité de « corps étrangers », et aurait fort bien pu s’intituler All About Nothing, tant il fait de bruit pour rien, avec un orchestre avec bois par quatre, cuivres par trois (six cors), deux harpes, orgue, six percussionnistes et cordes en proportion. S’agissant d’un « ballet imaginaire » et le compositeur « pensant [désormais] la musique de façon plus simple, plus directe » grâce « aux vingt années passées à diriger des orchestres », ces Foreign Bodies se veulent expression « très physique », chacune des trois parties, qui s’enchaînent sans interruption, déployant un caractère spécifique. La première, Body Language, est un mouvement mécanique ; la deuxième, Language, illustre un texte de la poétesse suédoise Ann Jäderlund ; finale, Dance, est une danse « monotone » (sic). Dans cette partition se bousculent quantité de références aux grands ballets du début du XXe siècle que Salonen dirige pour la plupart à la perfection.

Mais l’essentiel du concert se trouvait ailleurs… En effet, le moment attendu était la première audition française d’une œuvre majeure du répertoire du siècle dernier, inexplicablement absente des salles de concerts françaises où elle n’avait encore jamais été programmée. Il s’agit d’une symphonie d’un compositeur qui, pourtant, fut un ami de la France à laquelle il rendit souvent hommage, empruntant à ses grands poètes quantité de vers pour ses pages majeures : Witold Lutosławski [photo].

L’on ne saura jamais assez gré à Esa-Pekka Salonen d’avoir programmé la première française de cette extraordinaire Symphonie n°4 composée entre 1988 et le 22 août 1992, qu’il dirige magistralement et que le Philhar’ joue remarquablement. Le Finlandais, qui entretenait d’étroites et admiratives relations avec le Polonais, lui en avait confié la création mondiale à la tête de son Orchestre Philharmonique de Los Angeles, son commanditaire, le 5 février 1993, au Dorothy Chandler Pavillon de Los Angeles. D’une durée de vingt à vingt-cinq minutes, la symphonie est en un mouvement continu constitué de deux sections, l’une préparatoire, l’autre de développement avec un étincelant épilogue. Œuvre au lyrisme grave, à l’écriture en fines textures et aux élans dramatiques, la Symphonie n°4 se conclut sur une touche crépusculaire mais sans affectation, à la façon des Quatre derniers Lieder de Strauss ou des Chants sérieux de Brahms : une impalpable tristesse, comme un salut à l’éternelle beauté de la vie. Signataire de deux enregistrements de cette somptueuse partition avec le Los Angeles Philharmonic [Sony (1994) ; Deutsche Grammophon (2006)], Salonen en livre ce soir une interprétation idiomatique à la tête d’un orchestre brillant, virtuose, plein d’élan et de fluidité. Une belle leçon d’orchestre dans une partition qui confine au chef-d’œuvre.

BS