Chroniques

par laurent bergnach

Présences George Benjamin – épisode 7
deux créations mondiales par le Trio Accanto

That time de Rebecca Saunders – Ex voto de Mikel Urquiza
Studio 104 / Maison de Radio France, Paris
- 15 février 2020
création d'Ex voto de Mikel Urquiza, par le Trio Accanto
© bálint hrotkó

Grâce à ses membres fondateurs Marcus Weiss (saxophone) et Christian Dierstein (percussion), qu’a rejoints Nicolas Hodges (piano) en 2013, le Trio Accanto impose depuis plus de vingt-cinq ans une combinaison d’instruments courante dans le domaine du jazz, mais bien moins habituelle dans celui de la musique savante. Autant dire qu’il lui fallut susciter l’intérêt de ses contemporains pour étoffer son répertoire – ce qui est encore le cas en cette fin d’après-midi, avec deux créations mondiales au programme.

Celui-ci débute avec Satellites de Misato Mochizuki (née en 1969), quart d’heure sonore auquel le trio du jour donna naissance au Luxembourg, le 11 février dernier. Face à un instrumentarium difficile à appréhender en termes d’équilibre, la musicienne a pensé « chaque instrument comme une entité indépendante qui ne va pas rencontrer les deux autres, mais qui, à l’image des astres, participe à un équilibre par attraction et répulsion successives » (brochure du festival). Ouvrant la pièce, un piano galopant dans le médium puis un membranophone martelé avec légèreté, tout d’abord, ne dérogent pas à leur nature percussive. Ils installent une sorte de rituel bientôt dominé par de longs traits de saxophone soprano un rien gémissant, tendre et insistant. Un silence des touches fait basculer dans la seconde partie, beaucoup plus variée en rythmes et couleurs : Dierstein joue deux autres instruments, Hodges utilise les cordes, etc.

La première pièce en création s’appelle That time, inspirée à Rebecca Saunders (née en 1967) par un texte de Samuel Beckett – avec Joyce tout récemment, on peut croire la Londonienne attirée par les auteurs dublinois [lire notre chronique du 28 septembre 2017]. Rareté du piano, glouglous du saxophone baryton et archet frôleur source d’auras métalliques (bol, cymbale) font d’abord croire à une œuvre méditative. Mais nombre d’amorces de déflagrations à la percussion, ou encore l’apparition de clusters, retirent vite cette étiquette !

La seconde pièce en création se nomme Ex voto, inspirée par son actuel séjour à la Villa Médicis à Mikel Urquiza (né en 1988) [photo], joué le week-end dernier à Présences par le trio Catch [lire notre chronique du 9 février 2020]. Pensionnaire enchanté par la Dea Roma, le natif de Bilbao lui rend hommage à travers cinq mouvements bien caractérisés (Pavone – Occhio – Cuore – Orecchio – Piede) qui évoquent chacun une attitude au monde. Ainsi, la bienvenue d’un paon criard est rendue par un tutti goguenard qu’un kazoo vient barioler. Aigus claquants du piano, volettement du saxophone et carillons évoquent ensuite la richesse du panorama romain, tandis que des tuyaux harmoniques font sans doute référence à un cœur séduit par la ville antique. Un harmonica et quelques appeaux disent le silence d’un jardin, doucement chahuté par la faune à plumes. Enfin, la marche dans Rome, gage de liberté, sourd de tapotis sur le couvercle fermé du piano, de cliquetis de clés et de chocs du wood-block.

Le concert s’achève avec Trio funambule (2015), un opus bien connu de nos interprètes qui l’on créé à Stuttgart, au festival ECLAT. Georges Aperghis (né en 1945) y invente des séquences brèves et des situations de cirque, imaginant des funambules « passant d’un espace sonore à l’autre, souvent d’une façon paraissant arbitraire » (ibid.) Comme souvent chez l’auteur de Dans le mur [lire notre chronique du 27 mars 2008], la voix n’est jamais loin, dont témoigne le babillage et autres jacassements de l’instrument à vent. Plus que quelques grincements que le percussionniste tire de plaques de métal, on retiendra ici les sons plus souples issus de supports inusités (flûte à coulisse, flexatone, scie musicale, crécelle).

LB