Chroniques

par bertrand bolognesi

Présences George Benjamin – épisode 8
création mondiale de Wood and bones de Jérôme Combier

deux premières françaises d’Ondřej Adámek et d’Helen Grime
Auditorium / Maison de Radio France, Paris
- 15 février 2020
Kent Nagano dirige l'Orchestre Philharmonique de Radio France
© felix broede

Grand soir au bel auditorium, avec ce douzième rendez-vous de Présences qui réunit le Chœur (Martina Batič), la Maîtrise (Marie-Noëlle Maerten) et l’Orchestre Philharmonique de Radio France placés sous la direction de Kent Nagano, avec trois solistes instrumentaux et cinq vocaux. La soirée est ouverte par une œuvre de 2017, créée à Londres le 17 septembre de cette année-là par Simon Rattle à la tête du London Symphony Orchestra : il s’agit de Fanfares de l’Écossaise Helen Grime (née en 1981) – Pierre Boulez jouait son vigoureux Virga (2007) dix ans plus tôt [lire notre chronique du 28 mai 2010] –, premier mouvement d’un triptyque intitulé Woven Space, en référence à l’œuvre, volontiers monumentale, de la sculptrice Laura Ellen Bacon, réalisée par torsion de brindilles végétales. De cette première française, l’on admire d’emblée la sonorité venue de loin, l’ardent et bref ostinato des violons que contrepointent trombone et tuba, et, surtout, le tissu qui rapidement se construit, à la faveur d’un prétexte rythmique bientôt contredit. Le rehaut volatile des flûtes et hautbois le disputent à une partie de trompette omniprésente. Avec une maestria indéniable, et contre toute attente quant au genre, Helen Grime réalise une fanfare fluide dont le chef californien livre une lecture lumineuse.

Place au compositeur invité par Présences, George Benjamin, avec Sometime voices (1996) pour baryton, chœur mixte et orchestre que Nagano créait lui-même à Manchester, le 11 septembre 1996. Be not afeard : the isle is full of noises… ainsi Caliban commence-t-il sa description de l’étrange musique régnant sur l’île où se situe l’action de The Tempest, la célèbre pièce de Shakespeare. « J’ai imaginé que cette musique se déroulait comme dans un rêve, dans l’esprit de Caliban, bien que son comportement capricieux soit indépendant de sa volonté », précise le compositeur (brochure de salle). De fait, l’insaisissable étrangeté de la fantasmagorie shakespearienne est immédiatement de la partie, avec l’introduction confiée aux xylophones, à la mandoline, au banjo et aux harpes, fort intrigante. Aux échos incantatoires Caliban du chœur aérien répondent les phrases puissantes, aux notes prolongées, fermement appuyées, du baryton – ici Gyula Orendt [lire notre chronique de Lessons in love and violence], qui ne parvient guère à stabiliser son intonation, malheureusement. En fin de ce bref opus, on observe une inversion des forces expressives en rapport (chœur et soliste).

Onze minutes : voilà le temps d’un happening survenu juste après l’exécution de Sometime voices, peut-être signé post mortem par John Cage… à moins que ce soit un prosaïque changement de plateau, fort long ! Après cela, la quasi-demi-heure occupée par le petit théâtre d’Ondřej Adámek [lire nos chroniques du 9 février 2010, du 13 janvier 2011, du 29 janvier 2013, des 1er février et 28 septembre 2014] est une épreuve autrement redoutable, avouons-le. S’inspirant une nouvelle fois de poèmes de l’écrivain islandais Sjón – né en 1962, Sigurjón Birgir Sigurðsson est connu pour ses collaborations avec Björk – avec lequel il collaborait déjà pour son opéra Seven Stones (2018), le musicien tchèque écrivit Man time stone time l’an dernier, mis au monde par Michael Wendeberg aux Wittener Tage für neue Kammermusik, le 12 mai 2019. Quatre voix dont une masculine (Landy Andriamboavoavonjy, Shigeko Hata, Anne-Emmanuelle Davy et Nicolas Simeha) débutent autour d’un table et d’une statuette, superposant souffles vocaux et frappements de cailloux. Le principe élémentaire de la pièce s’installe dès lors : la scansion, toujours et uniquement la scansion, y compris dans les salves de cuivres. L’entracte est une bénédiction, au retour duquel l’on découvre, en création mondiale, Wood and bones pour violoncelle seul de Jérôme Combier [lire nos chroniques du 29 mars 2007, des 15 mars et 5 avril 2012, du 23 février 2014, du 30 juin 2016, du 20 novembre 2017 et du 13 décembre 2018]. « …comme la musique d’un rituel inconnu. Elle convoque des matières de bois, celui que l’on frappe pour invoquer les esprits, et des cliquetis d’os, ceux que l’on agite pour tenir à distance les sorts du destin », explique le compositeur (même source). Sous l’archet d’Éric-Maria Couturier, dédicataire de l’œuvre, les intenses rebonds génèrent un espace de résonance particulier à deux sections relativement dépouillées dont la raucité rappelle parfois Pression de Lachemann. Mais une sorte de sautillement s’impose peu à peu comme mélodie gutturale incantatoire.

Retour au grand effectif, pour finir, avec Trois petites liturgies de la présence divine, conçu par Olivier Messiaen entre novembre 1943 et mars 1944, en pleine guerre, et créé sous la battue de Roger Désormière, à Paris, le 21 avril 1945. En compagnie d’Yvonne et Jeanne Loriod (au piano et aux ondes Martenot), Kent Nagano en gravait une fort belle version il y a un quart de siècle, qui déjà recourait à la Maîtrise de Radio France, selon le goût exprimé par Messiaen lui-même, plutôt qu’à l’effectif féminin de son Chœur (l’ONF était alors de la fête). Plus mystérieuse encore, l’interprétation de ce jour élève Antienne de la conversation intérieure à un niveau de méditation inouï, subtilement porté par l’ondiste Nathalie Forget et la pianiste Maroussia Gentet [lire nos chroniques du 3 février 2017, des 5 février et 9 octobre 2019]. Le chef développe une incroyable minéralité des timbres, où fait merveille le solo de violon, somptueusement tenu par l’excellent Nathan Mierdl. À l’immobilité extatique concluant le premier mouvement succède la danse enjouée de Séquence du verbe, habitée d’une joie invasive. Et l’incroyable énergie de Psalmodie de l’ubiquité par amour d’alors se déployer ! Avec ce concert s’achèvent nos publications sur l’édition 2020 du festival [lire les épisodes 1, 2, 3, 4, 5, 6 et 7 de notre feuilleton], édition couverte par notre équipe grâce à la saine complicité de l’institution elle-même, en dépit de la bouderie tant durable que niaise de l’agence de presse mandatée par la manifestation.

BB